Santé mentale au travail : une collaboration employeurs employés
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Durée de l'enregistrement : 26:28
Élizabeth Gauthier : [00:00:05] Bonjour, je m'appelle Élizabeth Gauthier. Je suis conseillère en santé organisationnelle chez Beneva. Je m'occupe principalement de la prévention et de la promotion de la santé. Je suis responsable d'accompagner les entreprises qui sont assurés chez nous. Ce qui me passionne, c'est les humains. J'aime avoir le sentiment de faire une différence chez les personnes pour les aider à se sentir accomplies dans leur milieu de travail.
Simon Coulombe : [00:00:25] Je suis Simon Coulombe, professeur chercheur à l'Université Laval et titulaire de la chaire de recherche Relief en santé mentale, autogestion et travail. Cette chaire de recherche là est supportée financièrement par Relief, un organisme à but non lucratif et par Beneva. Dans la vie, j'ai plusieurs passions, mais je suis vraiment une personne très, très, très curieuse, et donc je suis vraiment passionné et curieux d'en apprendre sur ce sujet-là. C'est un peu nerd, mais oui, c'est moi.
Voix off : [00:00:51] Vous vous questionnez?
Question : [00:00:51] Comment savoir si je prends bien soin de la santé mentale de mes employés?
Question : [00:00:58] Je me demande est-ce que les stratégies mises en place pour favoriser le bien-être de mes employés sont encore adaptées à notre réalité actuelle?
Question : [00:01:06] Est-ce que mon environnement de travail est adapté à mes besoins?
Voix off : [00:01:11] Voici nos réponses.
Catherine Duranceau : [00:01:14] Bonjour! Bienvenue au balado de Beneva : Paroles d'experts. Je suis votre animatrice, Catherine Duranceau. Dans cet épisode, on va aborder un sujet de plus en plus populaire, celui de la santé mentale. On va explorer les meilleures pratiques à adopter dans notre milieu professionnel, mais aussi, des perspectives et des exemples pertinents qui se font à travers le monde. Élizabeth, dis-nous, qu'est-ce qui explique que la santé mentale est devenue plus que prioritaire au sein des entreprises?
Élizabeth : [00:01:42] La santé mentale est vraiment sur toutes les bouches en ce moment parce que le contexte de travail a énormément changé dans les dernières années. Le Conseil du patronat du Québec mentionne, entre autres, que 94 % des entreprises ont des défis de recrutement de personnel. Donc, les entreprises ont de la difficulté à aller chercher des nouveaux talents, des personnes qui sont compétentes pour occuper les emplois qui sont disponibles. Pourquoi on a de la difficulté à trouver des travailleurs, en fait, c'est que plus du tiers des travailleurs se disent épuisés, sont en situation d'épuisement. Puis ils attribuent leur grand stress au milieu de travail. Entre autres, ce qui est mentionné, c'est que la charge de travail est énorme, et puis les travailleurs ont de la difficulté à établir un équilibre entre leur travail et leur vie personnelle.
Dans le passé, il y a eu peut-être un débalancement par rapport à justement la charge de travail, aux longues heures de travail. Puis là, il y a comme un nouveau retour du balancier. Donc, il y a plusieurs effets qui sont positifs, pour les employeurs, à mettre en place des initiatives en santé mieux-être. D'une part, en investissant dans la santé mentale, les employeurs, les entreprises vont aussi investir dans leur marque employeur. Donc, ça va être de moins en moins difficile d'aller chercher des nouveaux talents. Donc, ça va être plus facile aussi d'avoir une rétention du personnel qui est déjà en place. Donc, les personnes qui sont déjà en place, qui ont déjà une bonne santé mentale, et qui sont en mesure de travailler et de s'accomplir dans leur travail, vont vouloir continuer à travailler pour leur employeur. Il va y avoir, évidemment aussi, moins d'absentéisme et, ultimement ce qu'on voudrait, c'est d'avoir moins d'invalidités. Autant pour les employeurs, qui perdent des employés qui partent pour une durée indéterminée en congé maladie, comme on appelle, mais aussi pour les personnes qui sont en situation de souffrance. Donc, le fait d'investir dans la santé mentale va avoir vraiment plusieurs répercussions qui sont très, très positives pour les employeurs et pour les employés.
Catherine : [00:03:38] Et, on passe quand même la majorité de nos journées au travail, donc c'est vraiment quelque chose à prendre au sérieux. Puis Simon, dis-nous, tu es présentement en train de travailler sur une recherche assez impressionnante. Peux-tu nous en parler?
Simon : [00:03:50] Bien oui, dans le fond, je travaille à la chaire de recherche Relief en santé mentale, autogestion et travail, qui est propulsée par Beneva. Puis le but, c'est vraiment d'aller comprendre qu'est-ce qui se fait à travers le monde, quelles sont les meilleures recherches, les meilleurs travaux qui peuvent nous inspirer pour encore mieux comprendre les enjeux de santé mentale au travail et les bonnes pratiques pour intervenir en prévention des difficultés de santé mentale ou en promotion. Je parcours le monde à la recherche de différentes pistes de bonnes pratiques pour améliorer la santé mentale au travail. Il y a des chercheurs partout à travers le monde qui travaillent sur ces sujets-là, un peu comme moi puis mes collègues, puis l'idée, c'est d'aller s'inspirer à l'extérieur.
Catherine : [00:04:29] Parle-nous des pays que tu as visités?
Simon : [00:04:31] Jusqu'à maintenant, je suis allé au Brésil, au Chili, un petit peu en Argentine, en Afrique du Sud, en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Japon.
Catherine : [00:04:38] Oh mon Dieu! OK. Et est-ce qu'il y a différentes thématiques que tu découvres par pays?
Simon : [00:04:42] Oui, exactement. J'ai fait un parcours sur différents thèmes. Par exemple, au Brésil, je travaille plus sur la question de littératie en matière de santé mentale.
Catherine : [00:04:53] OK. Oui, c'est ça. En d'autres mots, s’il vous plaît?
Simon : [00:04:56] En d’autres mots, c'est les connaissances et les capacités que les personnes ont par rapport à leur santé mentale, leur bien-être. C'est sur ça que j'ai travaillé, par exemple, au Brésil, au Chili, toute la question plus de précarité d'emploi ou insécurité d'emploi, qui est aussi démontrée comme étant associée à des enjeux de santé mentale. Après ça, en Afrique du Sud, je me suis intéressé à l'environnement physique de travail. Tsé, on pense de plus en plus aux aires ouvertes versus bureau de travail fermé, puis partage de l'espace dans les nouveaux types d'environnements, je dirais post-COVID notamment. Donc comment, ça, ça influence la santé mentale, et qu'est-ce qui peut être fait pour optimiser ces espaces-là.
Catherine : [00:05:30] Et c’est quoi qui était vu là-bas?
Simon : [00:05:31] Selon nos études à date et d'autres travaux, c'est assez mitigé les effets. Il n'y a pas des effets super clairs sur la santé mentale d'un ou l'autre des types.
Catherine : [00:05:39] On peut peut-être se faire déranger, fait que là, on trouve des points négatifs dans une formule.
Simon : [00:05:44] Oui, c'est ça, l'espace fermé plus ton espace à toi, qui est bon pour la santé mentale quand même. Mais tu as moins de contacts sociaux, etc. Bon, c'est juste un exemple. Mais, ce qui ressort beaucoup des travaux sur le sujet puis des consultations qu'on a faites, c'est que les gens veulent participer, veulent avoir leur mot à dire, puis ça, ça va faire une différence à la fin sur, une fois dans cet environnement-là, est-ce qu'ils vont aimer ça ou pas, puis est-ce que ça va être un truc favorable ou pas. Le sentiment de contrôle ou de compétence, c'est un des trois besoins fondamentaux que les études montrent systématiquement comme étant reliés au bien-être et à la santé mentale.
Catherine : [00:06:18] Qu'est-ce qui t'a marqué le plus dans les pratiques de bien-être parmi tous les pays que tu as découverts à ce jour?
Simon : [00:06:23] Ce qui m'a marqué le plus, en fait au départ, c'est que je trouve que la question de la santé mentale ou le bien-être des employés est vraiment à l'avant-plan ou central dans plusieurs pays. Ça, c'est comme la constante que j'ai vue. Puis les enjeux de santé mentale touchent des employés partout à travers le monde, clairement là. Ça, c'est ça qui m'a marqué. Et à travers différents pays, c'était le sens au travail comme étant central dans le bien‑être des personnes, leur santé mentale.
Catherine : [00:06:52] Donc, savoir pourquoi je travaille pour cette entreprise ou le sens que son travail a sur les autres, par exemple?
Simon : [00:06:58] Oui, c'est ça, toute cette question-là, du fait qu'il y a des gens, que ce soit dans différents contextes culturels ou sociaux des fois plus défavorisés, ou même, on peut penser à des gens dans d'autres cultures, des gens qui vivent de la discrimination, des gens qui vivent une tonne de différentes choses. Mais ce qu'on se rende compte, c'est que tsé, peu importe le type d'emploi qu'ils occupent, on dirait qu'il y a des personnes qui arrivent à trouver un sens puis à trouver une certaine joie. Après ça, au niveau des pratiques que les entreprises peuvent mettre en place pour soutenir ces aspects-là, puis s'adapter un petit peu à différents sens que les personnes donnent au travail. Tsé, c'est pas tout le monde pour qui, le travail, ça va être central dans sa vie.
Catherine : [00:07:34] Puis, c’est correct là. C’est ta vie aussi.
Simon : [00:07:36] C'est correct, mais comment, en tant que gestionnaire ou employeur, je peux travailler avec ces personnes-là, puis quand même faire en sorte que c'est des personnes qui sont bien au travail, puis qui sont quand même productives. Veux, veux pas, il y a quand même cet impératif-là. Fait que ça, ça m'a quand même marqué de voir, à travers différents pays, différents types d'emploi.
Catherine : [00:07:54] C’était commun. Puis, tu le ressens-tu un petit peu, Élizabeth, le sens à notre travail?
Élizabeth : [00:07:59] Bien, je trouve ça fascinant en fait, ce que tu es en train de dire, parce que je vois beaucoup de ressemblances, de points qui nous unissent, peu importe où on se trouve dans le monde, là. Le fait d'offrir un milieu qui est enrichissant, dans lequel les gens vont s'accomplir, se développer, je pense que c'est universel. J'ai l'impression que tous les humains ont besoin de travailler en congruence avec leurs valeurs, que ce soit peu importe quelle entreprise, le fait de se sentir accompli et d'avoir l'impression de faire une différence, ça va toucher, je pense, énormément la mobilisation de l'employeur puis ça va faire en sorte que les gens vont vouloir…
Catherine : [00:08:30] Les gens vont rester.
Élizabeth : [00:08:31] Exactement, demeurer, mais être en plus dans un bon état de santé mentale.
Catherine : [00:08:34] Très fascinant. Et si on parle de notre environnement de travail, Élizabeth, peux-tu nous dire concrètement comment on peut adopter de meilleures pratiques au travail?
Élizabeth : [00:08:43] Au point de vue des entreprises, pour adapter justement l'environnement de travail, le climat de travail, puis s'assurer que ce qu'on peut identifier comme étant des facteurs de risque à la santé mentale deviennent plutôt des facteurs de protection. Je pense que la base, c'est de choisir d'établir une culture santé. Donc la culture santé, c'est instaurer la santé, le bien-être autant physique, psychologique, mental à tous les niveaux de l'entreprise. Donc pour ce faire, évidemment, on ne le dira jamais assez, il faut que la haute direction soit en accord avec ce concept-là et soit, justement, un ambassadeur de la santé pour que tout le monde y croit. C’est-à-dire qu'on commence par instaurer des politiques en santé, mieux-être, que ce soit une politique sur la civilité, sur la prévention du harcèlement, la prévention de toutes les formes de violence, pour vraiment mettre une base de sécurité psychologique pour les employés. Ensuite, je pense que ce qui est important, c'est d'aller sonder les employés. On ne veut pas mettre en place des initiatives qui ne seront pas fructueuses. Donc, pour choisir les initiatives, il faut aller vérifier avec les personnes.
Catherine : [00:09:45] Avez-vous apprécié, moins apprécié, qu'est-ce qu'on peut modifier?
Élizabeth : [00:09:48] Quels sont vos besoins aussi? De quoi vous avez besoin pour que vous vous sentiez accompli, que vous ayez envie de venir travailler, que vous vous sentiez bien et heureux au travail. Donc, en allant sonder les personnes, on va ensuite être capable de mettre en place les initiatives qui répondent à leurs besoins. Puis, après avoir mis ces initiatives-là en place, je pense que ce qui est souvent oublié, mais le plus important, c'est d'aller les mesurer. Est-ce que ça a été efficace? Est-ce qu'on a choisi la bonne initiative pour le bon besoin? Donc, ça nous permet ensuite de rectifier le tir et de s'assurer que nos personnes qui vont bien continuer à bien aller. Donc, on va éviter justement le présentéisme, on va éviter l'absentéisme. Si je peux me permettre, le présentéisme…
Catherine : [00:10:26] Oui, j'allais dire. Attends donc, nouveau terme?
Élizabeth : [00:10:29] C’est peut-être un concept pour qu'on discute ensemble, qu’on soit tous au diapason. Le présentéisme, en fait, c'est quand un employé vient au travail, il est présent au travail, sauf qu'il va être préoccupé par un état de santé, soit physique ou psychologique. Donc ce qui arrive, c'est que l'employé, peut-être qu'il peut tout simplement pas se permettre de manquer du travail parce qu'il n'y a pas accès à une banque de congés maladie, sauf qu'il ne sera pas nécessairement aussi efficace. Donc, ça peut avoir une influence sur ses pairs, sur ses collègues, ça peut avoir une influence sur sa productivité, ça peut aussi avoir une influence sur le niveau d'accidents de travail. Quelqu'un qui n’est pas nécessairement concentré, il peut y avoir plus d'accidents au travail.
Catherine : [00:11:05] Bien oui, tu es distrait. Oui, oui.
Élizabeth : [00:11:06] Exactement. On n'a pas l'impression souvent que le présentéisme a des coûts, mais les coûts sont vraiment nombreux.
Catherine : [00:11:12], Mais, comment savoir concrètement? Parce que tu es physiquement là, puis tu as peut-être l'impression que tu vas bien, mais c'est le mental qui ne suit pas. Il y a‑tu quand même des signes alarmants?
Élizabeth : [00:11:21] C'est vraiment une super bonne question. Je pense que les employeurs ont un très grand rôle à jouer là-dedans. D'une part, en outillant leurs gestionnaires pour qu'ils soient à l'affût des petits signes avant-coureurs de modification de comportements chez les gens. Ça peut être quelqu'un qui a l'air plus fatigué, ça peut être quelqu'un qui va manquer de civisme, qui a des comportements un peu plus irritables. Donc, être capable de déceler ça pour tendre la main aux personnes qui vivent peut-être des difficultés. Parce que j'ai l'impression que c'est plus difficile de lever la main pour dire « J'ai besoin d'aide, peux-tu m'aider », plutôt que de prendre la main qui nous est tendue.
Simon : [00:11:56] Puis, c'est ça aussi que, si à la base il y a une culture santé ou il y a d'autres concepts aussi, même des fois, climat de sécurité psychologique dans l'environnement de travail, bien tsé, les gens sont plus à même de développer leur propre capacité à, je dirais, faire de l'autogestion de leur santé mentale, mais aussi, de leur présence au travail. Tsé, si les gens comprennent que c'est correct, des fois, de prendre une journée dans ta banque de congés, si tu en as une...
Catherine : [00:12:20] Tu n’as pas besoin d'avoir un rendez-vous chez le dentiste, de justifier.
Simon : [00:12:21] Tu n’as besoin de te sentir mal, de le prendre. Mais, les gens vont être plus à même, à la longue, de s'autogérer. Parce qu'il faut aussi voir qu'aller travailler quand on ne se sent pas bien puis ne pas être super productif, c'est pas nécessairement à long terme, la solution la plus adaptative et la meilleure pour prévenir les coûts futurs non plus.
Catherine : [00:12:39] Je suis curieuse aussi, parce que tu as énormément voyagé, Simon. Il me regarde, il a fait une face comme « Oh oui! » Comment tu as vécu cette expérience d'être toujours parti, et as-tu utilisé différentes méthodes d'autogestion pour t'aider à gérer ton horaire et?
Simon : [00:12:56] Ce qui est vraiment intéressant, c'est de voir cette question-là aussi en pensant aux nouvelles formes de travail. Il y a quand même de plus en plus de personnes, entre autres, je pense des travailleurs autonomes, qui travaillent un peu partout à travers le monde, un peu de façon nomade. Je pense que le télétravail nomade.
Catherine : [00:13:09] C'est trendy sur les réseaux sociaux, mais oui, c’est ça.
Simon : [00:13:11] Oui. Mais, il y a aussi beaucoup de gens qui sont dans des emplois plus, je dirais, traditionnels, mais qui sont appelés à voyager beaucoup à travers le monde. J'ai beaucoup voyagé cette année, mais dans ma vie, je ne suis pas parti jamais plus que, je pense, trois semaines avant dans ma vie, là.
Catherine : [00:13:23] OK, quand même.
Simon : [00:13:24] C'était quand même nouveau pour moi.
Catherine : [00:13:23] C’était différent, cette année.
Simon : [00:13:26] Étonnamment, j'ai trouvé ça bouleversant. Perdre ses repères, même dans des pays où culturellement c'est pas si différent, c'est parce qu'à chaque mois, je changeais d'endroit. C'était un peu ambitieux. Tsé, se réajuster et tout. Justement, la question d'équilibre. Concilier vie personnelle. Puis, il y a des endroits où je me disais, j'y vais, oui, pour le travail, mais je reviendrai jamais peut-être ici. Fait que dans mes heures où je ne travaille pas le soir ou la fin de semaine, je devrais en profiter au maximum. Fait que c'est tout le temps comme…
Catherine : [00:13:54] Sans arrêt.
Simon : [00:13:55] Jamais vraiment des périodes de vrai repos. Je suis habitué de travailler à distance, mais avec des gens au Canada ou au Québec. Mais là avec les horaires, ça vient à la question de se mettre des limites, mais c'est qu'à un moment donné, les gens disaient « OK, mais il faut vraiment qu'on se parle ». Fait que je faisais des meetings la nuit, genre de minuit à 4h00. Là, j'allais me recoucher, je me relevais.
Catherine : [00:14:14] Ah, c'était épuisant!
Simon : [00:14:15] C'était vraiment épuisant. Mais après, c’est que j'ai réalisé que c'est à moi à apprendre à mettre des limites. Mais, c'est plus un processus. Je dirais que j'ai pas encore totalement réussi. Donc l'autogestion, je dirais par rapport à ça, c'est ça, c’est essayer tranquillement de trouver des méthodes qui ne sont pas nécessairement 100 % efficaces, mais…
Catherine : [00:14:31] Tu as essayé d'en appliquer, mais c'est pas aussi facile que…
Simon : [00:14:36] Non, ça montre la réalité qu'a une stratégie d'autogestion. On le dit, là, dans les travaux qu'on fait sur l'autogestion ou comment prendre soin de sa santé mentale, tsé, chacun a sa recette, puis la recette, elle évolue en fonction de la vie puis du contexte. Puis c'est par essai-erreur, un peu aussi.
Catherine : [00:14:50] Oui. C'est important de s'écouter. C'est bien de mettre en place, au sein d'une entreprise, des mesures pour aider les employés, mais il n'y a pas une part de responsabilité partagée?
Élizabeth : [00:15:00] Effectivement. Les employeurs ont leur responsabilité de mettre en place un climat puis un milieu de vie qui va être favorable à la bonne santé mentale. Mais chacun d'entre nous a la première responsabilité de choisir des habitudes de vie qui sont saines, de connaître ses limites et d'établir les limites qui lui sont le plus favorables. On a souvent tendance à, en anglais on a l'expression, people pleaser, vouloir faire plaisir à tout le monde.
Catherine : [00:15:24] Je connais ça.
Élizabeth : [00:15:25] À vouloir se faire aimer, se faire apprécier. On a souvent l'impression qu'en disant oui à tout et à tout le monde, en prenant toujours plus de projets, plus de mandats, on va être plus apprécié. Mais, je pense qu'une personne épuisée réussira pas à mener à terme tous les mandats.
Catherine : [00:15:41] C'est pour ça que des fois, on dit que, de dire non, c'est correct. C'est un peu dans cette lignée-là. Parce que de dire oui un petit peu partout, tu es pas performant et ton impression ne fonctionne pas là.
Élizabeth : [00:15:50] Effectivement. Une personne qui va devenir épuisée parce qu'elle a dit oui à tout ne sera plus nécessairement en mesure de prendre part à la culture santé. Tsé, on parlait tantôt, là, d'avoir un climat qui est favorable, d'avoir des politiques pour contrer les incivilités, des politiques de civilité. Quelqu'un qui est épuisé ne sera plus agréable envers ses collègues de travail, va probablement manquer plus de travail, peut manquer à court, à moyen et à long terme. Donc, être en mesure de mettre ses limites, à la base des limites qui sont normales, puis des limites qu'on peut respecter puis qui nous sont favorables, qui vont faire en sorte qu'on va maintenir une bonne santé mentale, c'est la première étape justement pour prendre part à cette culture santé là.
Simon : [00:16:29] C'est super intéressant, je trouve vraiment, merci de l'amener comme ça. Mais aussi, je trouve ça intéressant de voir comment la culture de l'organisation culture santé, oui peut soutenir l'employé, mais l'employé aussi, s'il est bien, il peut participer à cette culture‑là puis ça la renforce. C'est comme un cycle, là. Je trouve ça vraiment intéressant de le voir comme ça. J'essaie, dans les travaux – puis il y a d'autres chercheurs aussi, c'est pas moi qui ai inventé ça – de prendre une approche, on appelle ça écologique ou écosystémique. Ça a l'air un peu scientifique, mais c'est juste cette idée-là que chaque individu fait partie d'un écosystème. Un peu comme les animaux dans la nature, ils font partie d'un écosystème ou les plantes. Bien l'individu, on a chacun notre écosystème. Puis bon, peut-être qu’aujourd'hui, mon écosystème il inclut vous parce qu'on est ensemble.
Catherine : [00:17:10] On est ensemble, on discute.
Simon : [00:17:11] Et il inclut, tsé moi, l'organisation, la société, les gens dans l'organisation, les gens dans ma famille, tout le monde est lié. Donc tsé, de voir que la question de santé mentale est influencée par tous les aspects à chacun de ces niveaux-là, qui peuvent avoir des répercussions puis c’est un gros système qui s'interinfluence. Mais au final, c'est quand même la personne qui est au cœur de son propre écosystème de la santé mentale. Donc tsé, c'est sûr que la personne a son bout de chemin à faire. Puis oui, les conditions peuvent faciliter ce bout de chemin là ou y nuire. Donc, je pense que c'est là qu'il faut comme arriver à trouver l'équilibre entre ce qui est la part de l'employeur, ce qui est la part de l'employé, puis de voir que tout est interinfluencé.
Élizabeth : [00:17:49] L'image qui me vient en tête quand tu parles d'écosystème, en fait, c'est comme un gros casse-tête. Chaque personne est une partie du casse-tête, et le casse-tête en soi, c'est l'organisation. Mais si une personne est épuisée puis elle doit se retirer du casse-tête, elle est en invalidité, le casse-tête existe, mais il manque un morceau, il n'est pas complet. On est capable de voir l'image globale, mais il n'est pas parfait, il n'est pas complet. La place de chacun influence la place de l'autre. La notion d'écosystème est vraiment bonne, parce que justement, on a besoin de tout le monde, mais on a besoin de tout le monde en forme pour qu'ils puissent accomplir les tâches qui lui sont attribuées. Je pense que, dans les milieux de travail aussi, la notion d'efficacité et de rendement est en train de changer. C'est pas nécessairement l'efficacité, le nombre de tâches en le moins de temps possible, à plus faible coût. Maintenant, on considère l'humain, justement, comme faisant partie de l’organisation.
Catherine : [00:18:39] C'est pas plus important, mais...
Élizabeth : [00:18:39] C'est la ressource première des organisations, c'est les employés, c'est les humains.
Simon : [00:18:44] Des fois, j'utilise le terme saine. Admettons saine performance ou saine productivité. Tsé à un moment donné, il y a comme…
Catherine : [00:18:50] Ah, j’aime ça!
Simon : [00:18:50] …justement, la productivité à tout prix qui nous rend malades.
Élizabeth : [00:18:53] Est-ce que ça m'a coûté plus cher en santé d'offrir un rendement?
Simon : [00:18:57] Pour l'organisation, oui.
Élizabeth : [00:18:57] Pour l'organisation, puis personnellement, pour moi-même. Parce qu'après, si je ne suis plus en mesure de fournir un rendement parce que je dois me retirer pour aller prendre soin de moi, justement à long terme, ce rendement-là est pas efficace.
Simon : [00:19:08] Puis, ça rejoint, tsé, les travaux en santé mentale sur différentes difficultés de santé mentale. Anxiété, dépression et épuisement professionnel aussi montrent que, tsé, on a tendance à penser à la santé mentale, puis aux maladies de santé mentale ou troubles de santé mentale comme étant, OK, les personnes ont des symptômes, puis ils peuvent se rétablir. Puis c'est vrai que les personnes peuvent, dépendamment du trouble, peuvent revenir à un niveau de fonctionnement vraiment bien, etc. Mais, ça reste souvent un processus de rétablissement de longue haleine. Et puis, je dis pas ça pour décourager les gens, mais justement, pour qu'on change notre façon de voir un peu. Tsé, quelqu'un qui a une maladie chronique comme le diabète, on ne lui dira pas « OK, tu es rétabli ou tu l'es pas ». C'est chronique, la personne doit apprendre à vivre avec. Mais d'une certaine façon, certaines difficultés de santé mentale, puis même je dirais l'épuisement, bien, ça reste quand même un processus de longue haleine. Puis oui, les personnes ne seront pas en épuisement toute leur vie, mais reste que...
Catherine : [00:20:00] Ça laisse des marques.
Simon : [00:20:01] Possiblement, dépendamment des cas.
Élizabeth : [00:20:03] J'aimais l'hypothèse aussi que, la journée où on va traiter la santé mentale au même titre que la santé physique, on va avoir beaucoup moins de barrières. On parle du diabète, par exemple. On a le diabète, bien, on utilise les médicaments appropriés à cette condition-là. Peu de gens se sentent gênés d'avoir un diabète. Mais, quelqu'un qui utilise des anxiolytiques et des antidépresseurs, bien là, il va y avoir une espèce de combat mental à essayer de vaincre cette maladie-là sans la pharmacothérapie. Puis même chose, quelqu'un qui est en épuisement professionnel ou quelqu'un qui est en arrêt de travail pour une dépression, souvent, on va être moins porté à aller le visiter que quelqu'un qui s'est cassé une jambe à l'hôpital en ski. C’est ça.
Catherine : [00:20:44] C'est ça, on peut voir la blessure. Et dans ce cas-là, on la voit pas. Mais, c'est une blessure qui devrait être prise tout aussi au sérieux.
Simon : [00:20:50] Le fait que c'est pas visible. Mais, même le fait que, je pense, encore comme société et puis, même moi qui travaille dans ce domaine-là, on a encore, je pense, un malaise. Qu'est-ce que je vais dire à cette personne-là si je vais la visiter? Mon collègue qui est en arrêt de travail, par exemple, je sais qu'il est en arrêt de travail parce qu'il me l'a dit ou « j'ai entendu dire que », fait que je suis mal à l'aise. Fait que tsé, il y a comme encore, je pense, beaucoup de chemin à faire. Tsé, il y a beaucoup de programmes d'aide aux employés, je pense, dans plusieurs organisations, puis on sait malheureusement que les taux d'utilisation restent relativement faibles, que les personnes…
Catherine : [00:21:19] Tu as comme peur de l'utiliser. On sait que c'est là, mais est-ce que j'ose…
Simon : [00:21:22] Oui, ou les personnes ne savent pas tout à fait.
Élizabeth : [00:21:24] La clé réside, à mon avis dans ce que je vois dans les entreprises, c'est vraiment dans la communication du message. Être en mesure de communiquer le fait que les personnes ont un programme d'aide aux employés pour eux et pour leur famille, expliquer ce à quoi ils ont droit. Puis aussi mentionner, et ça j'aimerais le souligner en jaune fluo là, que c'est confidentiel. L'employeur ni l'assureur ne connaîtra les raisons pourquoi on consulte. Tous les soins de santé, que ce soit physiques ou psychologiques, sont toujours confidentiels.
[00:21:52 Transition]
Catherine : [00:22:01] Élizabeth, aurais-tu une anecdote à nous partager?
Élizabeth : [00:22:04] Bien certainement. Avant, je m'entraînais à tous les jours dans un gym militaire en compagnie de militaires super en forme. Puis là, moi à presque 40 ans, je me trouvais bien bonne de faire 5 kilomètres de jogging par jour.
Simon : [00:22:17] Cinq kilomètres, c'est beaucoup!
Élizabeth : [00:22:18] Non, c'est pas beaucoup pour bien du monde.
Catherine : [00:22:20] Moi aussi, j'allais dire c'est très bon, là, mais regarde!
Élizabeth : [00:22:22] C’est pas beaucoup pour bien du monde, mais écoute. Bien, merci. Merci, je le prends, OK. Puis justement, je me tapais en arrière de l'épaule et je me disais « Wow, Élizabeth, tu es vraiment bonne! » Tsé, ceux qui s'entraînent toujours aux mêmes plages horaires, c'est toujours les mêmes visages, évidemment. Donc là à côté de moi, il y avait un monsieur filiforme, un grand homme qui courait comme une gazelle. Et puis là, je me disais : il y en a pour qui c'est facile, de courir hein, il y en a pour qui ça a l'air tellement facile. Puis je me tapais encore plus sur l'épaule en disant « Wow, tu es vraiment bonne, tsé, tu fais ton effort ». Jusqu'à ce que cet homme-là arrive en short. J'ai vu qu'il y avait une prothèse et qu’il était amputé. Donc là, je me suis dit : oupelaye, j'avais vraiment mal lu la situation. Tsé, ça a l'air facile pour lui. Sauf que par quelles étapes il a dû passer pour en arriver là? Puis là, je me suis un peu remise en question, puis je me suis dit « Oui, tsé, on n'a pas tous les mêmes enjeux, puis il faut faire attention justement à notre lecture de la situation ».
Un peu dans cette veine là aussi, il y avait un autre homme en avant de moi. Lui, il faisait un petit vélo stationnaire de cinq minutes ou à peu près, puis tsé, il n'avait pas trop chaud, tsé. Puis là je me disais « Vraiment bonne, Élizabeth, de faire ton 5 kilomètres. Bravo! »
Catherine : [00:23:27] Bien tu t’encourages, c’est bon!
Élizabeth : [00:23:28] Tsé, je m'encourageais. Jusqu'à ce que j'aie une discussion avec cet homme-là, puis il me raconte que, pour lui le plus difficile, c'était de sortir de sa voiture, puis de venir dans l'établissement, puis de commencer son entraînement. Parce que lui, il avait un état de stress post-traumatique. Puis pour lui, c'était vraiment un enjeu qui était immense, simplement de sortir puis de côtoyer ses pairs.
Catherine : [00:23:46] Puis dans le fond, ça a été une belle leçon pour toi.
Élizabeth : [00:23:48] Oui, absolument. Une belle leçon d'humilité, une belle leçon d'empathie. Puis une belle leçon aussi, justement, de faire attention à comment on regarde les autres, puis le regard qu'on pose sur les autres, et le regard qu'on pose sur soi aussi. On est souvent plus dur avec nous qu'on va l'être avec les autres.
Catherine : [00:24:02] Bien nous, on te félicite pour ton 5 kilomètres par jour.
Simon : [00:24:05] Oui!
Catherine : [00:24:06] Moi, c'est par moi!
Simon : [00:24:06] C’est ça, moi je suis rendu à un kilomètre, là. Je juge même pas ça.
Catherine : [00:24:10] C'est bon, c'est une marche. Mais tu marches beaucoup quand tu voyages.
Simon : [00:24:12 inaudible] Bien oui!
Catherine : [00:24:13] C'est ça, là, tu peux pas courir cinq kilomètres.
Simon : [00:24:14] Bien non.
Catherine : [00:24:15] Mon Dieu, moi non plus, même puis je voyage pas, fait que…
[00 :24 :18 Transition]
Catherine : [00:24:28] Élizabeth, j'aime compléter avec un résumé de notre conversation. Peux‑tu nous donner les grandes lignes de ce qui vient d'être discuté?
Élizabeth : [00:24:34] Oui, absolument. Je pense que, ce qui est à garder en tête comme employeur, c'est de mettre en place un climat qui va être sécuritaire psychologiquement pour les employés. Pour les employés, pour les travailleurs, de un, d'être en mesure d'identifier ses propres limites, de les respecter, de prendre part à la culture santé. Lorsqu'on nous propose des outils, tels que par exemple le programme d'aide aux employés, la télémédecine, quelques initiatives, que ce soit d'embrasser ça, puis d'y prendre part le plus possible pour se protéger, puis aussi apprendre à acquérir des nouvelles habiletés en gestion du stress, par exemple. Les employeurs, pour mettre en place les bonnes initiatives, aller vérifier auprès de leurs gens quelles sont les initiatives que les gens veulent qui soit mises en place, quelles sont les initiatives qu’ils ont besoin. Puis, je finirai avec ça comme mot de la fin, d’être capable de se mettre à la place de l'autre, développer son empathie.
Catherine : [00:25:30] L'empathie, c'est le mot de la fin. J’adore, yé!
Simon : [00:25:33] Empathie.
Catherine : [00:25:35] Empathie, et ce, partout à travers le monde, hein Simon?
Simon : [00:25:39] Oui, exactement.
[00:25:39 Transition]
Catherine : [00:25:41] Merci à vous deux. C'est sûr que toutes ces informations vont contribuer à promouvoir une santé mentale équilibrée. Surtout, un immense merci à tous nos auditeurs d'avoir été à l'écoute. Si vous avez des questions, écrivez-nous à l'adresse [email protected]. Pour obtenir plus d'informations et, bien sûr, écouter plus d'épisodes, aller sur le site web de Beneva, section Balados. On se donne rendez-vous pour d'autres échanges qui vous donneront des outils pour prendre des décisions éclairées pour vos assurances et vos affaires.
FIN DE TRANSCRIPTION
Comment favoriser efficacement la santé mentale au travail? C’est le point de départ d’une discussion animée par Catherine Duranceau et ses invités : Simon Coulombe, titulaire de la Chaire de recherche Relief en santé mentale, autogestion et travail propulsée par Beneva, et Elizabeth Kate Gauthier, conseillère en santé organisationnelle chez Beneva. Découvrez comment les employeurs peuvent instaurer une culture santé au travail, et comment les employés peuvent adopter des stratégies d’autogestion au quotidien – des avenues inspirantes pour faire de la santé mentale une priorité partagée.
Animation : Catherine Duranceau
Invités : Simon Coulombe et Élizabeth Gauthier
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Durée de l'enregistrement : 26:28
Élizabeth Gauthier : [00:00:05] Bonjour, je m'appelle Élizabeth Gauthier. Je suis conseillère en santé organisationnelle chez Beneva. Je m'occupe principalement de la prévention et de la promotion de la santé. Je suis responsable d'accompagner les entreprises qui sont assurés chez nous. Ce qui me passionne, c'est les humains. J'aime avoir le sentiment de faire une différence chez les personnes pour les aider à se sentir accomplies dans leur milieu de travail.
Simon Coulombe : [00:00:25] Je suis Simon Coulombe, professeur chercheur à l'Université Laval et titulaire de la chaire de recherche Relief en santé mentale, autogestion et travail. Cette chaire de recherche là est supportée financièrement par Relief, un organisme à but non lucratif et par Beneva. Dans la vie, j'ai plusieurs passions, mais je suis vraiment une personne très, très, très curieuse, et donc je suis vraiment passionné et curieux d'en apprendre sur ce sujet-là. C'est un peu nerd, mais oui, c'est moi.
Voix off : [00:00:51] Vous vous questionnez?
Question : [00:00:51] Comment savoir si je prends bien soin de la santé mentale de mes employés?
Question : [00:00:58] Je me demande est-ce que les stratégies mises en place pour favoriser le bien-être de mes employés sont encore adaptées à notre réalité actuelle?
Question : [00:01:06] Est-ce que mon environnement de travail est adapté à mes besoins?
Voix off : [00:01:11] Voici nos réponses.
Catherine Duranceau : [00:01:14] Bonjour! Bienvenue au balado de Beneva : Paroles d'experts. Je suis votre animatrice, Catherine Duranceau. Dans cet épisode, on va aborder un sujet de plus en plus populaire, celui de la santé mentale. On va explorer les meilleures pratiques à adopter dans notre milieu professionnel, mais aussi, des perspectives et des exemples pertinents qui se font à travers le monde. Élizabeth, dis-nous, qu'est-ce qui explique que la santé mentale est devenue plus que prioritaire au sein des entreprises?
Élizabeth : [00:01:42] La santé mentale est vraiment sur toutes les bouches en ce moment parce que le contexte de travail a énormément changé dans les dernières années. Le Conseil du patronat du Québec mentionne, entre autres, que 94 % des entreprises ont des défis de recrutement de personnel. Donc, les entreprises ont de la difficulté à aller chercher des nouveaux talents, des personnes qui sont compétentes pour occuper les emplois qui sont disponibles. Pourquoi on a de la difficulté à trouver des travailleurs, en fait, c'est que plus du tiers des travailleurs se disent épuisés, sont en situation d'épuisement. Puis ils attribuent leur grand stress au milieu de travail. Entre autres, ce qui est mentionné, c'est que la charge de travail est énorme, et puis les travailleurs ont de la difficulté à établir un équilibre entre leur travail et leur vie personnelle.
Dans le passé, il y a eu peut-être un débalancement par rapport à justement la charge de travail, aux longues heures de travail. Puis là, il y a comme un nouveau retour du balancier. Donc, il y a plusieurs effets qui sont positifs, pour les employeurs, à mettre en place des initiatives en santé mieux-être. D'une part, en investissant dans la santé mentale, les employeurs, les entreprises vont aussi investir dans leur marque employeur. Donc, ça va être de moins en moins difficile d'aller chercher des nouveaux talents. Donc, ça va être plus facile aussi d'avoir une rétention du personnel qui est déjà en place. Donc, les personnes qui sont déjà en place, qui ont déjà une bonne santé mentale, et qui sont en mesure de travailler et de s'accomplir dans leur travail, vont vouloir continuer à travailler pour leur employeur. Il va y avoir, évidemment aussi, moins d'absentéisme et, ultimement ce qu'on voudrait, c'est d'avoir moins d'invalidités. Autant pour les employeurs, qui perdent des employés qui partent pour une durée indéterminée en congé maladie, comme on appelle, mais aussi pour les personnes qui sont en situation de souffrance. Donc, le fait d'investir dans la santé mentale va avoir vraiment plusieurs répercussions qui sont très, très positives pour les employeurs et pour les employés.
Catherine : [00:03:38] Et, on passe quand même la majorité de nos journées au travail, donc c'est vraiment quelque chose à prendre au sérieux. Puis Simon, dis-nous, tu es présentement en train de travailler sur une recherche assez impressionnante. Peux-tu nous en parler?
Simon : [00:03:50] Bien oui, dans le fond, je travaille à la chaire de recherche Relief en santé mentale, autogestion et travail, qui est propulsée par Beneva. Puis le but, c'est vraiment d'aller comprendre qu'est-ce qui se fait à travers le monde, quelles sont les meilleures recherches, les meilleurs travaux qui peuvent nous inspirer pour encore mieux comprendre les enjeux de santé mentale au travail et les bonnes pratiques pour intervenir en prévention des difficultés de santé mentale ou en promotion. Je parcours le monde à la recherche de différentes pistes de bonnes pratiques pour améliorer la santé mentale au travail. Il y a des chercheurs partout à travers le monde qui travaillent sur ces sujets-là, un peu comme moi puis mes collègues, puis l'idée, c'est d'aller s'inspirer à l'extérieur.
Catherine : [00:04:29] Parle-nous des pays que tu as visités?
Simon : [00:04:31] Jusqu'à maintenant, je suis allé au Brésil, au Chili, un petit peu en Argentine, en Afrique du Sud, en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Japon.
Catherine : [00:04:38] Oh mon Dieu! OK. Et est-ce qu'il y a différentes thématiques que tu découvres par pays?
Simon : [00:04:42] Oui, exactement. J'ai fait un parcours sur différents thèmes. Par exemple, au Brésil, je travaille plus sur la question de littératie en matière de santé mentale.
Catherine : [00:04:53] OK. Oui, c'est ça. En d'autres mots, s’il vous plaît?
Simon : [00:04:56] En d’autres mots, c'est les connaissances et les capacités que les personnes ont par rapport à leur santé mentale, leur bien-être. C'est sur ça que j'ai travaillé, par exemple, au Brésil, au Chili, toute la question plus de précarité d'emploi ou insécurité d'emploi, qui est aussi démontrée comme étant associée à des enjeux de santé mentale. Après ça, en Afrique du Sud, je me suis intéressé à l'environnement physique de travail. Tsé, on pense de plus en plus aux aires ouvertes versus bureau de travail fermé, puis partage de l'espace dans les nouveaux types d'environnements, je dirais post-COVID notamment. Donc comment, ça, ça influence la santé mentale, et qu'est-ce qui peut être fait pour optimiser ces espaces-là.
Catherine : [00:05:30] Et c’est quoi qui était vu là-bas?
Simon : [00:05:31] Selon nos études à date et d'autres travaux, c'est assez mitigé les effets. Il n'y a pas des effets super clairs sur la santé mentale d'un ou l'autre des types.
Catherine : [00:05:39] On peut peut-être se faire déranger, fait que là, on trouve des points négatifs dans une formule.
Simon : [00:05:44] Oui, c'est ça, l'espace fermé plus ton espace à toi, qui est bon pour la santé mentale quand même. Mais tu as moins de contacts sociaux, etc. Bon, c'est juste un exemple. Mais, ce qui ressort beaucoup des travaux sur le sujet puis des consultations qu'on a faites, c'est que les gens veulent participer, veulent avoir leur mot à dire, puis ça, ça va faire une différence à la fin sur, une fois dans cet environnement-là, est-ce qu'ils vont aimer ça ou pas, puis est-ce que ça va être un truc favorable ou pas. Le sentiment de contrôle ou de compétence, c'est un des trois besoins fondamentaux que les études montrent systématiquement comme étant reliés au bien-être et à la santé mentale.
Catherine : [00:06:18] Qu'est-ce qui t'a marqué le plus dans les pratiques de bien-être parmi tous les pays que tu as découverts à ce jour?
Simon : [00:06:23] Ce qui m'a marqué le plus, en fait au départ, c'est que je trouve que la question de la santé mentale ou le bien-être des employés est vraiment à l'avant-plan ou central dans plusieurs pays. Ça, c'est comme la constante que j'ai vue. Puis les enjeux de santé mentale touchent des employés partout à travers le monde, clairement là. Ça, c'est ça qui m'a marqué. Et à travers différents pays, c'était le sens au travail comme étant central dans le bien‑être des personnes, leur santé mentale.
Catherine : [00:06:52] Donc, savoir pourquoi je travaille pour cette entreprise ou le sens que son travail a sur les autres, par exemple?
Simon : [00:06:58] Oui, c'est ça, toute cette question-là, du fait qu'il y a des gens, que ce soit dans différents contextes culturels ou sociaux des fois plus défavorisés, ou même, on peut penser à des gens dans d'autres cultures, des gens qui vivent de la discrimination, des gens qui vivent une tonne de différentes choses. Mais ce qu'on se rende compte, c'est que tsé, peu importe le type d'emploi qu'ils occupent, on dirait qu'il y a des personnes qui arrivent à trouver un sens puis à trouver une certaine joie. Après ça, au niveau des pratiques que les entreprises peuvent mettre en place pour soutenir ces aspects-là, puis s'adapter un petit peu à différents sens que les personnes donnent au travail. Tsé, c'est pas tout le monde pour qui, le travail, ça va être central dans sa vie.
Catherine : [00:07:34] Puis, c’est correct là. C’est ta vie aussi.
Simon : [00:07:36] C'est correct, mais comment, en tant que gestionnaire ou employeur, je peux travailler avec ces personnes-là, puis quand même faire en sorte que c'est des personnes qui sont bien au travail, puis qui sont quand même productives. Veux, veux pas, il y a quand même cet impératif-là. Fait que ça, ça m'a quand même marqué de voir, à travers différents pays, différents types d'emploi.
Catherine : [00:07:54] C’était commun. Puis, tu le ressens-tu un petit peu, Élizabeth, le sens à notre travail?
Élizabeth : [00:07:59] Bien, je trouve ça fascinant en fait, ce que tu es en train de dire, parce que je vois beaucoup de ressemblances, de points qui nous unissent, peu importe où on se trouve dans le monde, là. Le fait d'offrir un milieu qui est enrichissant, dans lequel les gens vont s'accomplir, se développer, je pense que c'est universel. J'ai l'impression que tous les humains ont besoin de travailler en congruence avec leurs valeurs, que ce soit peu importe quelle entreprise, le fait de se sentir accompli et d'avoir l'impression de faire une différence, ça va toucher, je pense, énormément la mobilisation de l'employeur puis ça va faire en sorte que les gens vont vouloir…
Catherine : [00:08:30] Les gens vont rester.
Élizabeth : [00:08:31] Exactement, demeurer, mais être en plus dans un bon état de santé mentale.
Catherine : [00:08:34] Très fascinant. Et si on parle de notre environnement de travail, Élizabeth, peux-tu nous dire concrètement comment on peut adopter de meilleures pratiques au travail?
Élizabeth : [00:08:43] Au point de vue des entreprises, pour adapter justement l'environnement de travail, le climat de travail, puis s'assurer que ce qu'on peut identifier comme étant des facteurs de risque à la santé mentale deviennent plutôt des facteurs de protection. Je pense que la base, c'est de choisir d'établir une culture santé. Donc la culture santé, c'est instaurer la santé, le bien-être autant physique, psychologique, mental à tous les niveaux de l'entreprise. Donc pour ce faire, évidemment, on ne le dira jamais assez, il faut que la haute direction soit en accord avec ce concept-là et soit, justement, un ambassadeur de la santé pour que tout le monde y croit. C’est-à-dire qu'on commence par instaurer des politiques en santé, mieux-être, que ce soit une politique sur la civilité, sur la prévention du harcèlement, la prévention de toutes les formes de violence, pour vraiment mettre une base de sécurité psychologique pour les employés. Ensuite, je pense que ce qui est important, c'est d'aller sonder les employés. On ne veut pas mettre en place des initiatives qui ne seront pas fructueuses. Donc, pour choisir les initiatives, il faut aller vérifier avec les personnes.
Catherine : [00:09:45] Avez-vous apprécié, moins apprécié, qu'est-ce qu'on peut modifier?
Élizabeth : [00:09:48] Quels sont vos besoins aussi? De quoi vous avez besoin pour que vous vous sentiez accompli, que vous ayez envie de venir travailler, que vous vous sentiez bien et heureux au travail. Donc, en allant sonder les personnes, on va ensuite être capable de mettre en place les initiatives qui répondent à leurs besoins. Puis, après avoir mis ces initiatives-là en place, je pense que ce qui est souvent oublié, mais le plus important, c'est d'aller les mesurer. Est-ce que ça a été efficace? Est-ce qu'on a choisi la bonne initiative pour le bon besoin? Donc, ça nous permet ensuite de rectifier le tir et de s'assurer que nos personnes qui vont bien continuer à bien aller. Donc, on va éviter justement le présentéisme, on va éviter l'absentéisme. Si je peux me permettre, le présentéisme…
Catherine : [00:10:26] Oui, j'allais dire. Attends donc, nouveau terme?
Élizabeth : [00:10:29] C’est peut-être un concept pour qu'on discute ensemble, qu’on soit tous au diapason. Le présentéisme, en fait, c'est quand un employé vient au travail, il est présent au travail, sauf qu'il va être préoccupé par un état de santé, soit physique ou psychologique. Donc ce qui arrive, c'est que l'employé, peut-être qu'il peut tout simplement pas se permettre de manquer du travail parce qu'il n'y a pas accès à une banque de congés maladie, sauf qu'il ne sera pas nécessairement aussi efficace. Donc, ça peut avoir une influence sur ses pairs, sur ses collègues, ça peut avoir une influence sur sa productivité, ça peut aussi avoir une influence sur le niveau d'accidents de travail. Quelqu'un qui n’est pas nécessairement concentré, il peut y avoir plus d'accidents au travail.
Catherine : [00:11:05] Bien oui, tu es distrait. Oui, oui.
Élizabeth : [00:11:06] Exactement. On n'a pas l'impression souvent que le présentéisme a des coûts, mais les coûts sont vraiment nombreux.
Catherine : [00:11:12], Mais, comment savoir concrètement? Parce que tu es physiquement là, puis tu as peut-être l'impression que tu vas bien, mais c'est le mental qui ne suit pas. Il y a‑tu quand même des signes alarmants?
Élizabeth : [00:11:21] C'est vraiment une super bonne question. Je pense que les employeurs ont un très grand rôle à jouer là-dedans. D'une part, en outillant leurs gestionnaires pour qu'ils soient à l'affût des petits signes avant-coureurs de modification de comportements chez les gens. Ça peut être quelqu'un qui a l'air plus fatigué, ça peut être quelqu'un qui va manquer de civisme, qui a des comportements un peu plus irritables. Donc, être capable de déceler ça pour tendre la main aux personnes qui vivent peut-être des difficultés. Parce que j'ai l'impression que c'est plus difficile de lever la main pour dire « J'ai besoin d'aide, peux-tu m'aider », plutôt que de prendre la main qui nous est tendue.
Simon : [00:11:56] Puis, c'est ça aussi que, si à la base il y a une culture santé ou il y a d'autres concepts aussi, même des fois, climat de sécurité psychologique dans l'environnement de travail, bien tsé, les gens sont plus à même de développer leur propre capacité à, je dirais, faire de l'autogestion de leur santé mentale, mais aussi, de leur présence au travail. Tsé, si les gens comprennent que c'est correct, des fois, de prendre une journée dans ta banque de congés, si tu en as une...
Catherine : [00:12:20] Tu n’as pas besoin d'avoir un rendez-vous chez le dentiste, de justifier.
Simon : [00:12:21] Tu n’as besoin de te sentir mal, de le prendre. Mais, les gens vont être plus à même, à la longue, de s'autogérer. Parce qu'il faut aussi voir qu'aller travailler quand on ne se sent pas bien puis ne pas être super productif, c'est pas nécessairement à long terme, la solution la plus adaptative et la meilleure pour prévenir les coûts futurs non plus.
Catherine : [00:12:39] Je suis curieuse aussi, parce que tu as énormément voyagé, Simon. Il me regarde, il a fait une face comme « Oh oui! » Comment tu as vécu cette expérience d'être toujours parti, et as-tu utilisé différentes méthodes d'autogestion pour t'aider à gérer ton horaire et?
Simon : [00:12:56] Ce qui est vraiment intéressant, c'est de voir cette question-là aussi en pensant aux nouvelles formes de travail. Il y a quand même de plus en plus de personnes, entre autres, je pense des travailleurs autonomes, qui travaillent un peu partout à travers le monde, un peu de façon nomade. Je pense que le télétravail nomade.
Catherine : [00:13:09] C'est trendy sur les réseaux sociaux, mais oui, c’est ça.
Simon : [00:13:11] Oui. Mais, il y a aussi beaucoup de gens qui sont dans des emplois plus, je dirais, traditionnels, mais qui sont appelés à voyager beaucoup à travers le monde. J'ai beaucoup voyagé cette année, mais dans ma vie, je ne suis pas parti jamais plus que, je pense, trois semaines avant dans ma vie, là.
Catherine : [00:13:23] OK, quand même.
Simon : [00:13:24] C'était quand même nouveau pour moi.
Catherine : [00:13:23] C’était différent, cette année.
Simon : [00:13:26] Étonnamment, j'ai trouvé ça bouleversant. Perdre ses repères, même dans des pays où culturellement c'est pas si différent, c'est parce qu'à chaque mois, je changeais d'endroit. C'était un peu ambitieux. Tsé, se réajuster et tout. Justement, la question d'équilibre. Concilier vie personnelle. Puis, il y a des endroits où je me disais, j'y vais, oui, pour le travail, mais je reviendrai jamais peut-être ici. Fait que dans mes heures où je ne travaille pas le soir ou la fin de semaine, je devrais en profiter au maximum. Fait que c'est tout le temps comme…
Catherine : [00:13:54] Sans arrêt.
Simon : [00:13:55] Jamais vraiment des périodes de vrai repos. Je suis habitué de travailler à distance, mais avec des gens au Canada ou au Québec. Mais là avec les horaires, ça vient à la question de se mettre des limites, mais c'est qu'à un moment donné, les gens disaient « OK, mais il faut vraiment qu'on se parle ». Fait que je faisais des meetings la nuit, genre de minuit à 4h00. Là, j'allais me recoucher, je me relevais.
Catherine : [00:14:14] Ah, c'était épuisant!
Simon : [00:14:15] C'était vraiment épuisant. Mais après, c’est que j'ai réalisé que c'est à moi à apprendre à mettre des limites. Mais, c'est plus un processus. Je dirais que j'ai pas encore totalement réussi. Donc l'autogestion, je dirais par rapport à ça, c'est ça, c’est essayer tranquillement de trouver des méthodes qui ne sont pas nécessairement 100 % efficaces, mais…
Catherine : [00:14:31] Tu as essayé d'en appliquer, mais c'est pas aussi facile que…
Simon : [00:14:36] Non, ça montre la réalité qu'a une stratégie d'autogestion. On le dit, là, dans les travaux qu'on fait sur l'autogestion ou comment prendre soin de sa santé mentale, tsé, chacun a sa recette, puis la recette, elle évolue en fonction de la vie puis du contexte. Puis c'est par essai-erreur, un peu aussi.
Catherine : [00:14:50] Oui. C'est important de s'écouter. C'est bien de mettre en place, au sein d'une entreprise, des mesures pour aider les employés, mais il n'y a pas une part de responsabilité partagée?
Élizabeth : [00:15:00] Effectivement. Les employeurs ont leur responsabilité de mettre en place un climat puis un milieu de vie qui va être favorable à la bonne santé mentale. Mais chacun d'entre nous a la première responsabilité de choisir des habitudes de vie qui sont saines, de connaître ses limites et d'établir les limites qui lui sont le plus favorables. On a souvent tendance à, en anglais on a l'expression, people pleaser, vouloir faire plaisir à tout le monde.
Catherine : [00:15:24] Je connais ça.
Élizabeth : [00:15:25] À vouloir se faire aimer, se faire apprécier. On a souvent l'impression qu'en disant oui à tout et à tout le monde, en prenant toujours plus de projets, plus de mandats, on va être plus apprécié. Mais, je pense qu'une personne épuisée réussira pas à mener à terme tous les mandats.
Catherine : [00:15:41] C'est pour ça que des fois, on dit que, de dire non, c'est correct. C'est un peu dans cette lignée-là. Parce que de dire oui un petit peu partout, tu es pas performant et ton impression ne fonctionne pas là.
Élizabeth : [00:15:50] Effectivement. Une personne qui va devenir épuisée parce qu'elle a dit oui à tout ne sera plus nécessairement en mesure de prendre part à la culture santé. Tsé, on parlait tantôt, là, d'avoir un climat qui est favorable, d'avoir des politiques pour contrer les incivilités, des politiques de civilité. Quelqu'un qui est épuisé ne sera plus agréable envers ses collègues de travail, va probablement manquer plus de travail, peut manquer à court, à moyen et à long terme. Donc, être en mesure de mettre ses limites, à la base des limites qui sont normales, puis des limites qu'on peut respecter puis qui nous sont favorables, qui vont faire en sorte qu'on va maintenir une bonne santé mentale, c'est la première étape justement pour prendre part à cette culture santé là.
Simon : [00:16:29] C'est super intéressant, je trouve vraiment, merci de l'amener comme ça. Mais aussi, je trouve ça intéressant de voir comment la culture de l'organisation culture santé, oui peut soutenir l'employé, mais l'employé aussi, s'il est bien, il peut participer à cette culture‑là puis ça la renforce. C'est comme un cycle, là. Je trouve ça vraiment intéressant de le voir comme ça. J'essaie, dans les travaux – puis il y a d'autres chercheurs aussi, c'est pas moi qui ai inventé ça – de prendre une approche, on appelle ça écologique ou écosystémique. Ça a l'air un peu scientifique, mais c'est juste cette idée-là que chaque individu fait partie d'un écosystème. Un peu comme les animaux dans la nature, ils font partie d'un écosystème ou les plantes. Bien l'individu, on a chacun notre écosystème. Puis bon, peut-être qu’aujourd'hui, mon écosystème il inclut vous parce qu'on est ensemble.
Catherine : [00:17:10] On est ensemble, on discute.
Simon : [00:17:11] Et il inclut, tsé moi, l'organisation, la société, les gens dans l'organisation, les gens dans ma famille, tout le monde est lié. Donc tsé, de voir que la question de santé mentale est influencée par tous les aspects à chacun de ces niveaux-là, qui peuvent avoir des répercussions puis c’est un gros système qui s'interinfluence. Mais au final, c'est quand même la personne qui est au cœur de son propre écosystème de la santé mentale. Donc tsé, c'est sûr que la personne a son bout de chemin à faire. Puis oui, les conditions peuvent faciliter ce bout de chemin là ou y nuire. Donc, je pense que c'est là qu'il faut comme arriver à trouver l'équilibre entre ce qui est la part de l'employeur, ce qui est la part de l'employé, puis de voir que tout est interinfluencé.
Élizabeth : [00:17:49] L'image qui me vient en tête quand tu parles d'écosystème, en fait, c'est comme un gros casse-tête. Chaque personne est une partie du casse-tête, et le casse-tête en soi, c'est l'organisation. Mais si une personne est épuisée puis elle doit se retirer du casse-tête, elle est en invalidité, le casse-tête existe, mais il manque un morceau, il n'est pas complet. On est capable de voir l'image globale, mais il n'est pas parfait, il n'est pas complet. La place de chacun influence la place de l'autre. La notion d'écosystème est vraiment bonne, parce que justement, on a besoin de tout le monde, mais on a besoin de tout le monde en forme pour qu'ils puissent accomplir les tâches qui lui sont attribuées. Je pense que, dans les milieux de travail aussi, la notion d'efficacité et de rendement est en train de changer. C'est pas nécessairement l'efficacité, le nombre de tâches en le moins de temps possible, à plus faible coût. Maintenant, on considère l'humain, justement, comme faisant partie de l’organisation.
Catherine : [00:18:39] C'est pas plus important, mais...
Élizabeth : [00:18:39] C'est la ressource première des organisations, c'est les employés, c'est les humains.
Simon : [00:18:44] Des fois, j'utilise le terme saine. Admettons saine performance ou saine productivité. Tsé à un moment donné, il y a comme…
Catherine : [00:18:50] Ah, j’aime ça!
Simon : [00:18:50] …justement, la productivité à tout prix qui nous rend malades.
Élizabeth : [00:18:53] Est-ce que ça m'a coûté plus cher en santé d'offrir un rendement?
Simon : [00:18:57] Pour l'organisation, oui.
Élizabeth : [00:18:57] Pour l'organisation, puis personnellement, pour moi-même. Parce qu'après, si je ne suis plus en mesure de fournir un rendement parce que je dois me retirer pour aller prendre soin de moi, justement à long terme, ce rendement-là est pas efficace.
Simon : [00:19:08] Puis, ça rejoint, tsé, les travaux en santé mentale sur différentes difficultés de santé mentale. Anxiété, dépression et épuisement professionnel aussi montrent que, tsé, on a tendance à penser à la santé mentale, puis aux maladies de santé mentale ou troubles de santé mentale comme étant, OK, les personnes ont des symptômes, puis ils peuvent se rétablir. Puis c'est vrai que les personnes peuvent, dépendamment du trouble, peuvent revenir à un niveau de fonctionnement vraiment bien, etc. Mais, ça reste souvent un processus de rétablissement de longue haleine. Et puis, je dis pas ça pour décourager les gens, mais justement, pour qu'on change notre façon de voir un peu. Tsé, quelqu'un qui a une maladie chronique comme le diabète, on ne lui dira pas « OK, tu es rétabli ou tu l'es pas ». C'est chronique, la personne doit apprendre à vivre avec. Mais d'une certaine façon, certaines difficultés de santé mentale, puis même je dirais l'épuisement, bien, ça reste quand même un processus de longue haleine. Puis oui, les personnes ne seront pas en épuisement toute leur vie, mais reste que...
Catherine : [00:20:00] Ça laisse des marques.
Simon : [00:20:01] Possiblement, dépendamment des cas.
Élizabeth : [00:20:03] J'aimais l'hypothèse aussi que, la journée où on va traiter la santé mentale au même titre que la santé physique, on va avoir beaucoup moins de barrières. On parle du diabète, par exemple. On a le diabète, bien, on utilise les médicaments appropriés à cette condition-là. Peu de gens se sentent gênés d'avoir un diabète. Mais, quelqu'un qui utilise des anxiolytiques et des antidépresseurs, bien là, il va y avoir une espèce de combat mental à essayer de vaincre cette maladie-là sans la pharmacothérapie. Puis même chose, quelqu'un qui est en épuisement professionnel ou quelqu'un qui est en arrêt de travail pour une dépression, souvent, on va être moins porté à aller le visiter que quelqu'un qui s'est cassé une jambe à l'hôpital en ski. C’est ça.
Catherine : [00:20:44] C'est ça, on peut voir la blessure. Et dans ce cas-là, on la voit pas. Mais, c'est une blessure qui devrait être prise tout aussi au sérieux.
Simon : [00:20:50] Le fait que c'est pas visible. Mais, même le fait que, je pense, encore comme société et puis, même moi qui travaille dans ce domaine-là, on a encore, je pense, un malaise. Qu'est-ce que je vais dire à cette personne-là si je vais la visiter? Mon collègue qui est en arrêt de travail, par exemple, je sais qu'il est en arrêt de travail parce qu'il me l'a dit ou « j'ai entendu dire que », fait que je suis mal à l'aise. Fait que tsé, il y a comme encore, je pense, beaucoup de chemin à faire. Tsé, il y a beaucoup de programmes d'aide aux employés, je pense, dans plusieurs organisations, puis on sait malheureusement que les taux d'utilisation restent relativement faibles, que les personnes…
Catherine : [00:21:19] Tu as comme peur de l'utiliser. On sait que c'est là, mais est-ce que j'ose…
Simon : [00:21:22] Oui, ou les personnes ne savent pas tout à fait.
Élizabeth : [00:21:24] La clé réside, à mon avis dans ce que je vois dans les entreprises, c'est vraiment dans la communication du message. Être en mesure de communiquer le fait que les personnes ont un programme d'aide aux employés pour eux et pour leur famille, expliquer ce à quoi ils ont droit. Puis aussi mentionner, et ça j'aimerais le souligner en jaune fluo là, que c'est confidentiel. L'employeur ni l'assureur ne connaîtra les raisons pourquoi on consulte. Tous les soins de santé, que ce soit physiques ou psychologiques, sont toujours confidentiels.
[00:21:52 Transition]
Catherine : [00:22:01] Élizabeth, aurais-tu une anecdote à nous partager?
Élizabeth : [00:22:04] Bien certainement. Avant, je m'entraînais à tous les jours dans un gym militaire en compagnie de militaires super en forme. Puis là, moi à presque 40 ans, je me trouvais bien bonne de faire 5 kilomètres de jogging par jour.
Simon : [00:22:17] Cinq kilomètres, c'est beaucoup!
Élizabeth : [00:22:18] Non, c'est pas beaucoup pour bien du monde.
Catherine : [00:22:20] Moi aussi, j'allais dire c'est très bon, là, mais regarde!
Élizabeth : [00:22:22] C’est pas beaucoup pour bien du monde, mais écoute. Bien, merci. Merci, je le prends, OK. Puis justement, je me tapais en arrière de l'épaule et je me disais « Wow, Élizabeth, tu es vraiment bonne! » Tsé, ceux qui s'entraînent toujours aux mêmes plages horaires, c'est toujours les mêmes visages, évidemment. Donc là à côté de moi, il y avait un monsieur filiforme, un grand homme qui courait comme une gazelle. Et puis là, je me disais : il y en a pour qui c'est facile, de courir hein, il y en a pour qui ça a l'air tellement facile. Puis je me tapais encore plus sur l'épaule en disant « Wow, tu es vraiment bonne, tsé, tu fais ton effort ». Jusqu'à ce que cet homme-là arrive en short. J'ai vu qu'il y avait une prothèse et qu’il était amputé. Donc là, je me suis dit : oupelaye, j'avais vraiment mal lu la situation. Tsé, ça a l'air facile pour lui. Sauf que par quelles étapes il a dû passer pour en arriver là? Puis là, je me suis un peu remise en question, puis je me suis dit « Oui, tsé, on n'a pas tous les mêmes enjeux, puis il faut faire attention justement à notre lecture de la situation ».
Un peu dans cette veine là aussi, il y avait un autre homme en avant de moi. Lui, il faisait un petit vélo stationnaire de cinq minutes ou à peu près, puis tsé, il n'avait pas trop chaud, tsé. Puis là je me disais « Vraiment bonne, Élizabeth, de faire ton 5 kilomètres. Bravo! »
Catherine : [00:23:27] Bien tu t’encourages, c’est bon!
Élizabeth : [00:23:28] Tsé, je m'encourageais. Jusqu'à ce que j'aie une discussion avec cet homme-là, puis il me raconte que, pour lui le plus difficile, c'était de sortir de sa voiture, puis de venir dans l'établissement, puis de commencer son entraînement. Parce que lui, il avait un état de stress post-traumatique. Puis pour lui, c'était vraiment un enjeu qui était immense, simplement de sortir puis de côtoyer ses pairs.
Catherine : [00:23:46] Puis dans le fond, ça a été une belle leçon pour toi.
Élizabeth : [00:23:48] Oui, absolument. Une belle leçon d'humilité, une belle leçon d'empathie. Puis une belle leçon aussi, justement, de faire attention à comment on regarde les autres, puis le regard qu'on pose sur les autres, et le regard qu'on pose sur soi aussi. On est souvent plus dur avec nous qu'on va l'être avec les autres.
Catherine : [00:24:02] Bien nous, on te félicite pour ton 5 kilomètres par jour.
Simon : [00:24:05] Oui!
Catherine : [00:24:06] Moi, c'est par moi!
Simon : [00:24:06] C’est ça, moi je suis rendu à un kilomètre, là. Je juge même pas ça.
Catherine : [00:24:10] C'est bon, c'est une marche. Mais tu marches beaucoup quand tu voyages.
Simon : [00:24:12 inaudible] Bien oui!
Catherine : [00:24:13] C'est ça, là, tu peux pas courir cinq kilomètres.
Simon : [00:24:14] Bien non.
Catherine : [00:24:15] Mon Dieu, moi non plus, même puis je voyage pas, fait que…
[00 :24 :18 Transition]
Catherine : [00:24:28] Élizabeth, j'aime compléter avec un résumé de notre conversation. Peux‑tu nous donner les grandes lignes de ce qui vient d'être discuté?
Élizabeth : [00:24:34] Oui, absolument. Je pense que, ce qui est à garder en tête comme employeur, c'est de mettre en place un climat qui va être sécuritaire psychologiquement pour les employés. Pour les employés, pour les travailleurs, de un, d'être en mesure d'identifier ses propres limites, de les respecter, de prendre part à la culture santé. Lorsqu'on nous propose des outils, tels que par exemple le programme d'aide aux employés, la télémédecine, quelques initiatives, que ce soit d'embrasser ça, puis d'y prendre part le plus possible pour se protéger, puis aussi apprendre à acquérir des nouvelles habiletés en gestion du stress, par exemple. Les employeurs, pour mettre en place les bonnes initiatives, aller vérifier auprès de leurs gens quelles sont les initiatives que les gens veulent qui soit mises en place, quelles sont les initiatives qu’ils ont besoin. Puis, je finirai avec ça comme mot de la fin, d’être capable de se mettre à la place de l'autre, développer son empathie.
Catherine : [00:25:30] L'empathie, c'est le mot de la fin. J’adore, yé!
Simon : [00:25:33] Empathie.
Catherine : [00:25:35] Empathie, et ce, partout à travers le monde, hein Simon?
Simon : [00:25:39] Oui, exactement.
[00:25:39 Transition]
Catherine : [00:25:41] Merci à vous deux. C'est sûr que toutes ces informations vont contribuer à promouvoir une santé mentale équilibrée. Surtout, un immense merci à tous nos auditeurs d'avoir été à l'écoute. Si vous avez des questions, écrivez-nous à l'adresse [email protected]. Pour obtenir plus d'informations et, bien sûr, écouter plus d'épisodes, aller sur le site web de Beneva, section Balados. On se donne rendez-vous pour d'autres échanges qui vous donneront des outils pour prendre des décisions éclairées pour vos assurances et vos affaires.
FIN DE TRANSCRIPTION