Contrôler l’anxiété de performance avec Alexis Galarneau et Roseline Filion
Durée de l'enregistrement : 35:48
Anne-Élisabeth : [00:00:00] Salut tout le monde, je m'appelle Anne-Élisabeth Bossé et bienvenue au balado de Beneva : Ça arrive à tout le monde. Parce que Beneva c'est vraiment du bon monde, on s'est fait aller le réseau de contacts pour créer des rencontres mémorables. À chaque épisode, je reçois un ou une invitée pour jaser de ce qui arrive dans sa vie.
[00:00:15] Quand on pense à un athlète de haut niveau, on a l'image de quelqu'un de fort, de solide, qui a une force mentale à toute épreuve. Mais est-ce que c'est toujours le cas? Qu'est-ce qui se passe dans la tête d'un athlète avant un match? Qu'est-ce qu'il a fait pour se rendre là? Est-ce que c'est tabou de parler de santé mentale? Pour en jaser, je reçois le joueur de tennis Alexis Galarneau, qui est aussi ambassadeur de Pause mentale, une initiative de Tennis Canada qui est soutenue par Beneva. Et je reçois aussi Roseline Filion, la double médaillée olympique. On va parler de sport sans tabou. Allons-y.
[transition]
Anne-Élisabeth : [00:00:53] Merci tellement d'être avec nous, Alexis.
Alexis : [00:00:54] Merci à toi.
Anne-Élisabeth : [00:00:54] Tu es joueur de tennis professionnel dans le circuit ATP depuis 2021. Tu as aussi été dans l'équipe canadienne de tennis. Je te demanderais de t'introduire un peu. Parle-moi de ce parcours de tennis que je connais… je ne connais pas beaucoup le tennis, donc pour mon bénéfice, et peut-être à ceux de… le bénéfice de tous.
Alexis : [00:01:10] J'ai commencé à jouer au tennis à l'âge de 8 ans avec mes deux grands frères au parc municipal Champfleury.
Anne-Élisabeth : [00:01:17] À Laval.
Alexis : [00:01:18] À Laval, exactement. Donc c'est ça, ça a commencé de famille. Juste jouer pour le fun avec mes frères, passer un peu de temps avec eux. Mes frères, eux, voyaient un talent en moi dès le début, donc on a continué d'aller jouer quand même assez souvent. Puis à partir de là, vraiment étape par étape, j'ai passé par l'équipe Québec, l'équipe canadienne. Ensuite, j'ai décidé d'aller à l'université américaine pour, ensuite, finalement tourner pro en 2021.
Anne-Élisabeth : [00:01:46] Tu es aussi ambassadeur pour Pause mentale, qui est une initiative de Tennis Canada qui est soutenue par Beneva d'ailleurs. C'était la deuxième année que tu fais ça.
Alexis : [00:01:53] Exact.
Anne-Élisabeth : [00:01:54] Pourquoi c'est important pour toi? C'est quoi cette initiative-là?
Alexis : [00:01:57] Bien, c'est une initiative très importante pour le tennis. On sait que c'est probablement l'élément le plus important, d'être fort mentalement. On sait aussi tous les enjeux extérieurs qu'il peut y avoir dans une carrière professionnelle ou même au niveau junior. Puis moi, bien, c'était une opportunité de parler de mon parcours, parler aussi des outils que j'utilise pour aider à être de plus en plus fort mentalement. On a accès à un site web, sur la page de Tennis Canada, qui va essayer de parler un petit peu du parcours, tsé, à différentes étapes d'une carrière d'un jeune joueur de tennis. Donc à différentes étapes, qu'est-ce que les parents peuvent faire pour supporter leur enfant.
Anne-Élisabeth : [00:02:46] Qu’est-ce que l'athlète peut faire aussi pour…
Alexis : [00:02:48] Exact. Autant les athlètes que les parents. Moi en tant qu'ambassadeur, j'essaie de promouvoir, tsé, d'en parler, de normaliser aussi la santé mentale comme étant un…
Anne-Élisabeth : [00:03:02] Comme tu fais en ce moment, comme porte-parole.
Alexis : [00:03:04] Exact. Un sujet qui doit être parlé, puis qui doit être… On doit améliorer les conditions.
Anne-Élisabeth : [00:03:11] Parle-moi des enjeux en question de santé mentale dans le sport de haut niveau.
Alexis : [00:03:15] Pour moi personnellement, c'est l'anxiété de performance, à la base de tout ça. En étant athlète professionnel, on veut performer, on veut atteindre notre plein potentiel, donc ça peut venir avec de l'anxiété par moments.
Anne-Élisabeth : [00:03:30] Puis toi, tu vivais physiquement des symptômes d'anxiété avant de performer?
Alexis : [00:03:34] Je pense que oui. Rien d'intense, mais quand même.
Anne-Élisabeth : [00:03:39] Habité par un stress.
Alexis : [00:03:40] Exact. Exact. Heureusement que je suis très bien soutenu avec un beau support. J'ai une préparatrice mentale, j'ai ma famille aussi qui m'aide énormément, donc j'arrive à quand même manager tout ça. Les autres enjeux qu'il y a, bien, c'est aussi voyager autant de semaines dans l'année. Moi, je voyage environ 40 semaines dans l'année à être tout seul.
Anne-Élisabeth : [00:04:03] Ah oui, OK, fait que tu affrontes énormément de solitude là-dedans.
Alexis : [00:04:06] Exact. Exact.
Anne-Élisabeth : [00:04:07] Oui, c'est un sport qui se joue seul aussi. Tu as pas ton équipe qui te suit, là. C'est ça qui est particulier du tennis.
Alexis : [00:04:12] Non. C'est ce que j'aime, mais c'est aussi le challenge qui peut être pas toujours évident. Donc, d'essayer d'être le plus souvent à chaque semaine, tsé, d'être fort mentalement, de trouver des outils qui peuvent t'aider à récupérer mentalement entre les matchs, tsé, les réseaux sociaux aussi peuvent quand même gruger de l'énergie.
Anne-Élisabeth : [00:04:31] Oui, vous aussi, vous avez un enjeu de classement. Comment ça fonctionne, le classement au tennis?
Alexis : [00:04:36] Donc en fait, ils prennent tes performances sur une année complète. Donc on va dire si la semaine prochaine, à pareille date l'année dernière j'avais gagné un tournoi, j'aurais à défendre ces points-là pour la semaine prochaine. Donc, ça peut créer quand même une autre sorte de pression.
Anne-Élisabeth : [00:04:54] Bien oui. Parce que si tu tombes en bas de 200, il faut… c'est important de rester dans les 200 premiers, c'est ça?
Alexis : [00:04:59] Exact. Idéalement, on reste dans les 220 au monde pour avoir accès au tableau, aux qualifications des Grands Chelems. C'est une pression financière de moins de savoir qu'on joue une qualification d'un Grand Chelem.
Anne-Élisabeth : [00:05:13] Ah bien oui!
Alexis : [00:05:14] On a quand même des meilleures bourses, donc on peut l'inclure dans nos budgets. Donc un autre enjeu, c'est ça, c'est les finances.
Anne-Élisabeth : [00:05:21] Quand même. Bien, oui, les finances. Parce que par exemple, si tu te blesses, toi, tu n'as plus de gagne-pain, tu continues à payer ton entraîneur, tu continues… donc c'est ça?
Alexis : [00:05:28] Exactement.
Anne-Élisabeth : [00:05:29] Non seulement il faut pas que tu échoues, il faut pas que tu te blesses, puis il faut que tu progresses, c'est beaucoup de choses à soutenir seul quand même. Est-ce que ça a été difficile pour toi d'aborder la santé mentale? Je sais que tu es dans une génération un peu plus jeune que moi, mais je sais qu'on aura la chance d'en parler tantôt, que c'est nouveau quand même qu'on aborde ça. Est-ce que toi tu as vécu le petit changement ou tu as toujours été très à l'aise à parler de tes faiblesses quelque part.
Alexis : [00:05:56] Non, non. Oui, bien même quand on m'avait proposé de faire partie de l'initiative de la Pause mentale, j'étais pas sûr si je voulais m'embarquer dans ça, parce que c'est un sujet encore tabou.
Anne-Élisabeth : [00:06:12] Bien oui. Tu veux pas être étiqueté?
Alexis : [00:06:13] Non, exact. Puis pour moi, je pense que je suis quand même quelqu'un de bien équilibré dans la vie, donc je le sais qu'il y a des gens qui ont des problèmes plus importants que moi, mais je pense quand même, j'ai réalisé que je peux quand même éduquer ou, au moins, aider les jeunes.
Anne-Élisabeth : [00:06:31] Bien oui, tu enlèves le tabou en ayant pas toi-même. Si lui il en parle, tu as raison, il y a pas de mal à en parler. Fait que si toi, tu as pas de problème, ça ouvre la porte aux autres. Pourquoi tu penses que c'est tabou de parler de santé mentale? C'est quoi qui t'arrête, tsé qui t’a un peu freiné?
Alexis : [00:06:45] Je pense qu'il y a encore le concept de l'athlète parfait qui a rien, qui est mentalement fort, surtout sur le circuit masculin. Ça pourrait être un signe de faiblesse de travailler avec un préparateur mental ou simplement d'en parler. Donc, c'est encore, selon moi, réel, tsé, de penser qu'on est plus faible à cause de ça. Mais personnellement, je pense qu'une fois qu'on accepte qu'on a besoin d'aide et qu'on… ou même pas besoin d'aide, mais simplement d'optimiser ses performances mentales, je pense que c'est là que tu peux vraiment faire un bon step dans ton tennis.
Anne-Élisabeth : [00:07:31] Bien oui, c'est un peu évident. On optimise notre performance physique, pourquoi on n’optimiserait pas notre performance mentale? C'est comme de dire qu'on a besoin de renforcir des choses, ça serait être vulnérable.
Alexis : [00:07:43] Oui.
Anne-Élisabeth : [00:07:44] Et c'est aussi de supposer qu'il y a des gens qui pourraient vivre un parcours d'athlète sans jamais rencontrer ça. C’est comme impossible quand on y pense.
Alexis : [00:07:50] Non, exact. Tous les athlètes professionnels sont humains. Tous les athlètes professionnels ont des pensées envahissantes. Tout le monde vit de l'anxiété d'une forme ou d'une autre, donc c'est ça, c'est d'accepter que c'est réel, puis de prendre les outils nécessaires pour optimiser, encore une fois, sa performance mentale.
Anne-Élisabeth : [00:08:13] Bien oui, mais au final, je pense que c'est accepter d'être humain, c'est une force de plus. Tu peux être bien plus fort, une fois que tu as assumé que tu es capable de traverser tes faiblesses.
Alexis : [00:08:21] Exact.
Anne-Élisabeth : [00:08:22] Et on a parlé un petit peu plus tôt aussi du stress qui accompagnait. Au-delà de ton stress de performance, le stress technique autour de ta discipline. Tu t’es blessé, tu te remets présentement d'une blessure. Qu'est-ce qui s'est passé? Comment tu as vécu ça?
Alexis : [00:08:37] Ça n'a pas été facile. Ça a été quand même un trois-quatre mois plus compliqué.
Anne-Élisabeth : [00:08:43] Oh, quand même!
Alexis : [00:08:44] Oui.
Anne-Élisabeth : [00:08:45] Ça devait être frustrant.
Alexis : [00:08:46] Frustrant, décourageant. Je pourrais vraiment nommer plusieurs émotions.
Anne-Élisabeth : [00:08:51] Des synonymes.
Alexis : [00:08:52] C'est ça. C'est une blessure que j'avais eu peut-être à quelques reprises dans les trois dernières années. J'ai l'impression que cette fois-ci, c'était la fois de trop, puis c'était pas tolérable pour jouer des tournois. Puis je pense le fait aussi que le timing, c'était pendant des tournois qui étaient au Canada, j'adore jouer au Canada, donc c'était dur d'avoir à me retirer. Puis ensuite, ça a continué pour le début de saison qui commençait en Australie, un Grand Chelem. Donc côté financier, c'est plus compliqué aussi. Donc ça a été trois quatre mois qui a été plus compliqué. Mais heureusement que j'avais vraiment un bon support, encore une fois, pour traverser cette période-là. C'est avec des moments comme ça qu'on apprécie encore plus de jouer au tennis. Ma dernière tournée au Mexique, j'ai senti vraiment que je suis parti là bas. J'avais encore des doutes.
Anne-Élisabeth : [00:09:49] Par rapport à ta blessure?
Alexis : [00:09:50] Par rapport à ma blessure, par rapport à ma préparation. Tsé, beaucoup, beaucoup de pensées envahissantes qui peuvent venir. Le fait d'être parti sur la route quatre semaines, de vraiment me laisser aller, essayer de s'améliorer de match en match avec mon entraîneur aussi, d'en parler, ça m'a fait beaucoup, beaucoup de bien. Puis finalement, j'ai eu une super belle tournée. Donc ça, on est fier d'une tournée comme ça, après ça, là.
Anne-Élisabeth : [00:10:16] J'imagine que quand on se blesse aussi, on a encore plus la gratitude de rejouer peut-être. Est-ce que tu penses qu'on peut perdre de vue la chance qu'on a?
Alexis : [00:10:24] Je pense que oui.
Anne-Élisabeth : Oui, il y a des athlètes qui font « Ah non, pas un autre Grand Chelem ». Ah oui, des fois c’est trop.
Alexis : Moi-même je suis victime de ça, de prendre les choses pour acquis, donc d'avoir été à la maison trois-quatre mois à rien faire, je pense que tu te comptes chanceux après de pouvoir jouer devant des belles foules, puis de sentir que ton tennis inspire ou apporte un peu de joie.
Anne-Élisabeth : [00:10:45] Tu me le dis, si c'est trop t'exposer que de répondre à cette question là. Mais c'est quoi une pensée envahissante?
Alexis : [00:10:52] Il peut y en avoir beaucoup. Beaucoup de pensées différentes. Si je prends pour exemple ma dernière période plus difficile, pendant ma blessure, des pensées envahissantes c'est, exemple, de pas penser qu'on va revenir à son top, de pas penser que tu vas avoir aucune douleur quand tu vas revenir au jeu, même tsé de penser à une éventualité de prendre sa retraite à cause que…
Anne-Élisabeth : [00:11:24] Tu penses au pire.
Alexis : Exact, de penser au pire. Je pense que c'est vraiment ça.
Anne-Élisabeth : [00:11:27] Ça y est, c'est le déclin, c'est le début de la fin.
Alexis : [00:11:29] Exact. Exact. Puis, c'est là que c'est important d'avoir un bon support, puis d'en parler de ces pensées-là pour réaliser que tsé, ça, c'est temporaire. Qu'est-ce qu'on fait maintenant? Quelle action on prend pour continuer d'aller de l'avant, là?
Anne-Élisabeth : [00:11:44] Ça me fait penser, moi aussi quand j'ai commencé dans mon métier d'actrice, je disais vraiment oui à tout parce que j’étais là « Ça va s'arrêter, parce qu'à un moment donné, il n'y aura plus d'offres. J'ai pas le choix ». Puis je pense que je me serais brûlée. Puis moi aussi, c'est quand j'ai consulté qu'on m'a dit « Non, mais il y a pas de raison que ça s'arrête ». Tsé, comme faire la part entre la peur puis le rationnel, là. Parce qu’à un moment donné, quand on est seul avec nos pensées, on a l'impression que c'est la vérité, là. On se convainc, on se convainc qu'on a raison.
Alexis : [00:12:07] On n’en parle pas, exactement.
Anne-Élisabeth : [00:12:09] Il faut que tu sortes de ta tête. Tu te dis « Non, non, ça c'est pas rationnel ».
Alexis : [00:12:11] Exact.
Anne-Élisabeth : [00:12:12] C'est quoi les outils concrets? Je sais pas si ça se dit vraiment, comme, c'est quoi des exercices qu'on peut faire pour essayer de contenir notre anxiété avant un grand moment?
Alexis : [00:12:20] Je pense que c'est différent pour tout le monde. Par contre, ce qui marche pour moi, souvent c'est la méditation.
Anne-Élisabeth : [00:12:26] Ah bon, OK.
Alexis : [00:12:26] J'essaie de méditer le plus souvent possible. Surtout sur la route en me réveillant ou même juste avant d'aller dormir. J'aurais tendance à aller sur mes réseaux sociaux, répondre aux messages, tout ça. Ça peut quand même créer un stress, donc de prendre un moment, de vraiment recentrer mon énergie à la bonne place.
Anne-Élisabeth : [00:12:48] Respirer.
Alexis : [00:12:49] Exact. Ça déjà, ça m'aide énormément. Avec Tennis Canada et Beneva, pendant l'Omnium Banque Nationale, souvent on fait une activité de yoga.
Anne-Élisabeth : [00:12:59] Ah oui!
Alexis : [00:12:59] Donc ça, je pense aussi que c'est un très bon outil à utiliser.
Anne-Élisabeth : [00:13:02] J’adore le yoga. Ah oui, c'est vraiment efficace.
Alexis : [00:13:04] Exact. Puis on se sent vraiment bien après avoir fait une séance. Donc c'est deux outils vraiment que j'utilise. Puis ensuite, bien le troisième, ça serait d'avoir une préparatrice mentale.
Anne-Élisabeth : [00:13:15] Oui, quelqu’un à qui parler.
Alexis : [00:13:15] Oui, exact. D'avoir quelqu'un que tu identifies, que tu peux vraiment lui confier toutes tes pensées, tes sentiments, puis tout ça. Déjà, ça c'est le premier step, selon moi.
Anne-Élisabeth : [00:13:27] Est-ce que tu te pardonnes facilement la défaite? Est-ce que tu as toujours été… est-ce que tu t’es toujours bien pardonné la défaite? Quel est ton rapport à la défaite?
Alexis : [00:13:34] Oui, j'aimerais ça te dire que j'ai un bon rapport avec la défaite.
Anne-Élisabeth : [00:13:38] C'est pas facile, hein?
Alexis : [00:13:39] C'est pas facile, non. Non. N'importe quel compétiteur dirait la même chose. Mais je pense qu'avec le temps, puis aussi les différents challenges que j'ai eus à travers ma carrière, je réalise que les défaites ou les moments plus difficiles, au final, ils t'apprennent quand même quelque chose de super important à long terme. Donc, j'essaie vraiment de mettre l'emphase sur ça, d'essayer d'en tirer le maximum de leçons, puis après, d'ajuster au besoin.
Anne-Élisabeth : [00:14:08] Est-ce que tu t’es déjà senti coupable par rapport à ta famille ou aux sacrifices financiers qui ont été faits pour toi, pour te soutenir? Oui.
Alexis : [00:14:16] À plusieurs fois dans ma carrière. Puis c'est même pas une pression réelle de leur part,
Anne-Élisabeth : [00:14:23] Non, non, bien non.
Alexis : [00:14:24] C’est ce que moi, je ressens. Mais tsé, à force d'en parler avec les gens, on réalise que c'est nous-même, des fois, qui nous met ces pressions-là inutiles. Puis mes parents ont toujours été… ils m'ont supporté incroyablement, jamais parlé vraiment d'argent, même si maintenant, je le réalise. Tout le temps, puis financièrement aussi, tout ce qu'ils ont investi, puis je suis vraiment reconnaissant envers eux.
Anne-Élisabeth : [00:14:51] Tsé, il y a des parents qui se projettent dans leur enfant aussi, puis que c'est leur défaite ou, tsé, ils prennent ça trop au sérieux. Puis des fois, même, il y a de la violence dans n'importe quel sport. Qu’est-ce que tu dirais à ces gens-là qui sont dans cette situation-là?
Alexis : [00:15:03] Je pense que c'est là où est-ce que la pause mentale peut aider aussi les parents à mieux supporter leurs enfants. Parce que c'est réel qu'il y a certains parents qui peuvent, tsé, sans nécessairement le faire par mal intention… tsé avec les mauvaises intentions.
Anne-Élisabeth : [00:15:21] Ils sont pas mal intentionnés.
Alexis : [00:15:21] Non, exactement.
Anne-Élisabeth : [00:15:22] C’est plus fort qu'eux ou ils sont inconscients de ce qu’ils font.
Alexis : [00:15:24] Puis c'est fait maladroitement, mais c'est ça, il faut outiller aussi les parents autant que les enfants dans ce processus-là.
Anne-Élisabeth : [00:15:30] C’est quoi la pire affaire que tu as vue, le pire non-sens, là?
Alexis : [00:15:34] Oui, bien c'est plate de voir un ami qui a peur d'écrire à leurs parents qu’ils ont perdu parce que, tsé, ils savent qu'ils vont être fâchés ou… c'est ça.
Anne-Élisabeth : [00:15:45] Au lieu d'être une source de réconfort, ils sont une source de stress. Ah oui.
Alexis : [00:15:48] Exact. Exact. Donc c'est triste à voir. Puis il y a aussi côté les gageurs. Il y en a beaucoup qui vont venir t'écrire après les matchs si tu as perdu.
Anne-Élisabeth : [00:15:55] What?!
Alexis : [00:15:56] Oui, oui. Des menaces de mort, puis tout. Oui.
Anne-Élisabeth : [00:15:58] Non! « J'avais mis tant sur toi ».
Alexis : [00:16:00] Exact. Exact.
Anne-Élisabeth : [00:16:00] Bien, les gens sont pas gênés!
Alexis : [00:16:01] Non, non, non. Oui.
Anne-Élisabeth : [00:16:03] Mon Dieu! Genre sur Instagram, là, un gageur.
Alexis : [00:16:05] Oui.
Anne-Élisabeth : [00:16:06] Faites pas ça. Faites pas ça, vous êtes mal élevé. C'est pas nécessaire.
Alexis : [00:16:10] Bien, je le prends personnel quand je vois que c'est un Québécois.
Anne-Élisabeth : [00:16:13] Bien, voyons donc! Je peux pas croire.
Alexis : [00:16:14] Ça, je leur répondais. Mais sinon…
Anne-Élisabeth : [00:16:16] Non, non, tu laisses aller.
Alexis : [00:16:17] Exact. Exact.
Anne-Élisabeth : [00:16:18] Je comprends que tu as d'autres chats à fouetter, mais je suis un peu scandalisée de ce que j'entends. Alexis, merci vraiment. J'ai envie qu'on poursuive cette discussion-là avec une femme d'abord, qui a un autre regard sur le sport aussi, Roseline Filion. Es-tu là, Roseline?
[transition]
Anne-Élisabeth : [00:16:32] Roseline Filion, merci tellement de nous rejoindre aujourd'hui.
Roseline : Grand plaisir!
Anne-Élisabeth : [00:16:36] Tu as participé à trois Jeux olympiques. On voit d'ailleurs, je m'excuse, ton joli tattoo des anneaux.
Roseline : [00:16:42] Qui est en train de disparaître. Mais il est là.
Anne-Élisabeth : [00:16:44] Mais il est là, puis il est tatoué, puis double médaillée de bronze, et aussi, maintenant animatrice. Bon, tu as été à la radio, tu fais plein de choses et, maintenant, tu…
Roseline : [00:16:51] Je suis toujours journaliste à Radio-Canada Sports.
Anne-Élisabeth : [00:16:53] Voilà, grosse année encore, toujours bien chargée.
Roseline : [00:16:53] Oui.
Anne-Élisabeth : [00:16:56] Parle-moi de ton rapport à la pression dans ton sport. Comment tu as vécu l'aspect santé mentale du plongeon?
Roseline : [00:17:02] Bien, c'est en montagnes russes, hein. Parce que plus tu avances dans un sport où tu gravis les échelons, donc tu te rends, tsé, tu commences régional, provincial, national, international. Plus ça avance, plus tu réalises ce que ça veut dire, la pression, ce que ça te fait sur le corps, dans la tête. Puis moi, au début, j'étais « La pression, j'aime ça, c'est le fun ». Tu es stressée avant une compétition, tu essaies de te gérer. Puis à un moment donné, quand les enjeux sont de plus en plus importants, puis que ça regroupe tout ce que tu as dans la vie, ah là, c'est pas pareil.
Anne-Élisabeth : [00:17:40] Puis la différence, c'est que toi, tu as plusieurs matchs. Toi, tu as une grande, grande préparation, puis tu as une espèce de plateau très, très dense, très concentré. C'est ça, les Jeux olympiques, c'est…
Roseline : [00:17:50] C’est une fois aux quatre ans, puis tu as pas d'autre chance.
Anne-Élisabeth : [00:17:52] C'est d'une cruauté, quand on y pense, hein?
Roseline : [00:17:54] Oui! Oui, quand même. C'est la plus grande compétition qu'un athlète amateur peut pas espérer, arrive une fois aux quatre ans. Tu as une chance, c'est une journée de compétition, puis c'est tout.
Anne-Élisabeth : [00:18:07] Et chose que vous avez en commun, c'est que vous avez… toi aussi tu as faire affaire avec un préparateur, préparatrice mentale?
Roseline : [00:18:15] Oui, préparateur mental, oui.
Anne-Élisabeth : [00:18:16] OK, raconte-moi ton expérience un peu avec ce professionnel-là.
Roseline : [00:18:19] Oui, bien en fait, moi j'ai utilisé plusieurs professionnels, puis ça a pris du temps avant de trouver le bon.
Anne-Élisabeth : [00:18:24] Oui, hein? C'est vrai que des fois, c'est pas un match parfait tout de suite, hein.
Roseline : [00:18:27] C'est niaiseux à dire, mais ça se magasine.
Anne-Élisabeth : [00:18:29] Ça se magasine certain! Bien oui!
Roseline : [00:18:31] Un préparateur ou un psychologue en général.
Anne-Élisabeth : [00:18:33] Tellement.
Roseline : [00:18:34] Puis quand j'ai trouvé la bonne personne qui comprenait ma personnalité, qui pouvait presque lire dans ma tête, ou sur certaines situations, ou savoir un peu comment j'allais réagir dans certains environnements, là, je savais que j'étais en confiance avec quelqu'un, puis je pouvais m'appuyer sur quelque chose d'assez solide. Mais pour moi, c'était essentiel d'avoir quelqu'un pour me guider, puis juste me rassurer sur mes inquiétudes, sur, tsé, quand je suis en haut sur la plateforme puis que c'est ma compétition, ça arrive que je pense à complètement d'autre chose, puis que j'ai la tête ailleurs, puis que là, ça n'a rien à voir avec le plongeon. Puis là, je suis comme « pourquoi je pense à ça, là, là? »
Anne-Élisabeth : [00:19:19] Ta liste d'épicerie, là.
Roseline : [00:19:21] Genre.
Anne-Élisabeth : [00:19:22] J’ai plus de pain.
Roseline : [00:19:23] Oui, genre, j'ai un examen dans une semaine, là, je suis pas prête. Qu'est-ce que je fais? Mais, j'attends le coup de sifflet avant de plonger. Puis des fois, c'est juste...
Anne-Élisabeth : [00:19:29] Ce qui est pas un bon état, là.
Roseline : [00:19:30] Non, pas du tout!
Anne-Élisabeth : [00:19:32] On cherche le moment présent, là.
Roseline : [00:19:33] Oui, oui, oui. Fait que tsé, il y a tout ça. Puis tu comprends pas d'où ça vient. Tu es comme « pourquoi, sur la plateforme, je pense à ça? »
Anne-Élisabeth : [00:19:40] C'est-tu parce que tu te dissocies, parce que le stress est trop grand?
Roseline : [00:19:42] Ça se peut.
Anne-Élisabeth : [00:19:43] OK, entre autres.
Roseline : [00:19:44] Entre autres ou ça devient trop. Tu as trop d'affaires dans ta tête, que tu es pas capable de te concentrer sur rien.
Anne-Élisabeth : [00:19:51] Tu es plus capable de prioriser.
Roseline : [00:19:51] Exactement.
Anne-Élisabeth : [00:19:52] Tout devient sur le même niveau. Ah, je comprends.
Roseline : [00:19:54] Oui. C’est des distractions. Puis l'objectif principal, en sport, c'est d'éliminer toutes les distractions possibles pour optimiser la performance.
Anne-Élisabeth : [00:20:03] On cherche le focus.
Roseline : [00:20:04] Le focus absolu, là, c'est hyper difficile à atteindre. Mais quand tu es dedans, c'est fou. Tu penses à rien, tu oublies tout, puis ton corps fait juste bouger tout seul.
Anne-Élisabeth : [00:20:17] Tout suit.
Roseline : [00:20:18] Oui. C'est une mémoire musculaire automatique.
Anne-Élisabeth : [00:20:22] Faire confiance au travail qui a été fait aussi, pour pouvoir profiter puis être dans le moment présent.
Roseline : [00:20:26] Oui.
Anne-Élisabeth : [00:20:27] Est-ce que vous aviez un peu les mêmes techniques, méditation, est-ce que ça se ressemble vos…?
Roseline : [00:20:31] Mais c'est drôle, j'écoutais tantôt, puis moi c'est complètement le contraire.
Anne-Élisabeth : [00:20:34] Ah bon, raconte!
Roseline : [00:20:34] Oui, moi, on a essayé la visualisation, ça ne marche pas du tout. Moi, tout ce que je m'imaginais, c'était de me faire mal. Tsé, quand tu as dit « OK, imagine ton plongeon dans ta tête ». Non, ça finit toujours mal.
Anne-Élisabeth : [00:20:46] Ah oui! Ton imaginaire est pas bon avec toi, là.
Roseline : [00:20:48] Non, pas du tout. Moi, ma façon de fonctionner, c'était vraiment spécial. Puis quand je plongeais, j'avais l'air très, très méchante. Tsé, dans le sens que j'ai l'air bête, je parle à personne, mais c'est parce que j'ai besoin d'avoir un point de focus. Fait que tsé, en attendant dans les escaliers avant de monter.
Anne-Élisabeth : [00:21:07] Pas de petit chat, là.
Roseline : [00:21:07] Pas du tout.
Anne-Élisabeth : [00:21:08] Non merci.
Roseline : [00:21:08] Non, non, parle-moi pas, c’était comme…
Anne-Élisabeth : [00:21:08] C'est légitime. C'est légitime.
Roseline : [00:21:11] Je suis bête comme mes deux pieds, puis ça ressemble pas à qui je suis vraiment, mais c'était nécessaire pour être à mon affaire, tsé. Parce que je peux être distraite facilement.
Anne-Élisabeth : [00:21:20] Ou on veut être fine, puis là, on gaspille notre énergie.
Roseline : [00:21:23] Oui, c’est ça! Puis tsé, moi pour moi, c'était de fixer un point, d'avoir des mots-clés. Un mot, pas quinze. C'est un mot.
Anne-Élisabeth : [00:21:29] Peux-tu me partager un mot-clé?
Roseline : [00:21:31] Bien, mon mot-clé était toujours relié à une technique.
Anne-Élisabeth : [00:21:35] Ah bon?
Roseline : [00:21:35] Oui. Fait que par exemple, moi j'avais de la difficulté à faire mon cercle de bras au départ. Donc quand je suis sur la plateforme, mon coach me répétait tout le temps « Ton cercle de bras avant d'aller rentrer dans ta position ». Fait que là je suis en haut, puis je suis comme « les bras, les bras, les bras » ou, des fois, c'est comme « puissance, puissance », « solide, solide à l'entrée », fait que c'est des petits mots que je changeais de compétition en compétition.
Anne-Élisabeth : [00:22:01] Pour pas justement que ça soit...
Roseline : [00:22:02] Un mot veut dire tout ce que je dois avoir ou qui résume tout ce qu'il doit y avoir dans mon plongeon pour le réussir.
Anne-Élisabeth : [00:22:08] J'adore.
Roseline : [00:22:09] Fait que c'était vraiment ça.
Anne-Élisabeth : [00:22:10] Avant de faire affaire à un professionnel, est-ce que tu as vécu un peu le stress ou la gêne d'avoir à admettre que tu as des…?
Roseline : [00:22:19] Oui puis non. Non parce qu’on dirait que, dans ma tête, je le savais que c'était essentiel, puis que j’aurais pas pu le faire...
Anne-Élisabeth : [00:22:28] Tu t’es toujours foutu de ce que le monde pense de ça.
Roseline : [00:22:31] Oui. Puis en même temps, tu le criais pas haut et fort, parce que moi je viens d'une génération où on est tough, puis la poker face, tsé, il faut que tu fasses semblant de bien aller tout le temps.
Anne-Élisabeth : [00:22:40] C'est valorisé.
Roseline : [00:22:41] Oui, c'est valorisé. « Ah, tu es donc bien forte, toi. Il y a rien qui t'atteint ». « Oui, je suis forte ». Tsé, c'est ça. Puis je me surprends encore aujourd'hui à le refaire, tsé, de juste dire « Oui, oui, tout va bien! Je suis capable. Je suis capable d'en prendre. C'est bon, là. J'ai pas de problème ». Tsé, des trucs comme ça. Mais à l'inverse, je savais que, trois secondes plus tard, j'avais mon préparateur ou mon psy au bout du fil, puis j'étais comme « Oh, j'ai besoin d'aide ». Oui.
Anne-Élisabeth : [00:23:06] Oui, oui. Mais c'est vrai que c'est correct aussi de pas être, comment dire, transparent avec tout le monde. En ce moment, je vis ça, mais juste de se confier aux bonnes personnes, là. Tsé, c'est pas de pas être authentique, c'est aussi de, bon, de choisir à qui on confie notre vulnérabilité aussi, là.
Roseline : [00:23:18] Oui, puis j'ai l'impression que dans un sport, puis c'est sûrement la même chose, tsé, tu as ton adversaire directement devant toi, tu peux pas lui montrer une faiblesse. Jamais, parce qu'il va prendre avantage.
Anne-Élisabeth : [00:23:29] Ça fait partie du théâtre du jeu, là, c'est vrai.
Roseline : [00:23:32] Oui. Puis sur la plateforme à l'échauffement admettons, moi, toutes les filles sont là. Donc, si je laisse entrevoir que je feele pas, bien, elles vont venir me parler, elles vont me dire « Ah, as-tu peur de faire ce plongeon-là? » Bla-bla-bla, bla-bla-bla. Puis là, ça te joue dans la tête. Alors tu as pas le choix de…
Alexis : [00:23:48] Te créer une carapace.
Roseline : [00:23:49] Exactement.
Anne-Élisabeth : [00:23:50] Un moment pour fronter, un moment pour faire face aux démons. Un moment pour…
Roseline : [00:23:52] C’est ça, exact.
Anne-Élisabeth : [00:23:53] Je comprends. Puis oui, c'est ça, tu l'as nommé. On vient d'une génération où c'était pas tellement encouragé. Mais je suis contente que tu t’es pas laissé influencer par le courant, que tu es allée là. Est-ce que tu sens que tu as un petit peu, je dirais pas pionnière, mais que tu as ouvert la voie un peu à parler de santé mentale?
Roseline : [00:24:10] Bien, je le vois avec la nouvelle génération. Moi, quand j'étais sur l'équipe nationale, on était peut-être deux ou trois à utiliser un préparateur mental. C'était pas pour la majorité, c'était encore « Ah moi, j'en ai pas besoin. Non, non, non, moi je suis correcte, je vais me gérer toute seule ».
Anne-Élisabeth : [00:24:23] Oui, je suis pas…
Roseline : [00:24:23] Oui. Puis aujourd'hui, je vais voir l'équipe nationale, puis c'est comme « Eille, aujourd'hui, j'avais vraiment de la misère. Dans ma tête, ça marche pas ». Puis ça parle aux entraîneurs, ça le dit aux co-équipières…
Anne-Élisabeth : [00:24:31] C’est beau, ça!
Roseline : [00:24:32] Puis je suis comme « Ah oui, OK! ».
Anne-Élisabeth : [00:24:34] Le chemin a été fait.
Roseline : [00:24:35] Oui, vraiment, ils sont pas gênés. Puis les entraîneurs « Oui, bien OK », ça s'adapte. « On fera pas ça aujourd'hui parce que tu es pas à ton 100 % ou ta tête est pas assez là pour telle, telle, telle raison ». Puis c'était pas de même avant.
Anne-Élisabeth : [00:24:49] Mais c'est ça, athlète n'égale pas robot, là.
Roseline : [00:24:51] Non, c’est ça.
Anne-Élisabeth : [00:24:51] C'est qu'on a l'impression, à un moment donné, que vous êtes comme 100 % dans tout. Tsé, on confond vos muscles, votre tête, votre cerveau, votre force mentale, votre force physique, votre…
Roseline : [00:24:59] Mais, il y a la confrontation entre « J'ai pas le choix pour être bon ou j'ai pas le choix pour être le meilleur. J'ai pas le choix de me forcer ou de… » Je sais pas comment…
Anne-Élisabeth : [00:25:10] Oui, il faut que je mette tout...
Alexis : [00:25:10] Toute les ressources possibles.
Roseline : [00:25:12] C’est ça, exact.
Alexis : [00:25:14] Pour pas… tsé, le sentiment de sentir que tu aurais dû faire ça.
Roseline : [00:25:18] Quand tu te dis « eille, aujourd'hui je feele pas », c’est pas sûr que c'est une bonne idée de m'entraîner de telle ou telle façon. Mais tout le temps dans ta tête « Oui, mais c'est parce qu'il y a quelqu'un d'autre qui va le faire cet effort-là, tsé, ou il va le faire de plus, ou il va se pousser ». Fait que tout le temps en bataille contre j'écoute mon corps, j'écoute ma tête.
Anne-Élisabeth : [00:25:35] Ou je m'écoute trop, puis je me pousse pas à bout, puis j'aurais besoin.
Roseline : [00:25:38] Ou tout ce que je veux, c'est gagner, puis peut-être que ça arrivera jamais, tsé.
Anne-Élisabeth : [00:25:41] Oui, oui, oui.
Roseline : [00:25:43] Fait que c'est une bataille constante.
Anne-Élisabeth : [00:25:46] Puis en plus, les femmes, on a des cycles qui influencent beaucoup nos émotions, puis nos performances physiques.
Roseline : [00:25:54] Oui! Oui.
Anne-Élisabeth : [00:25:55] Je sais que toi, tu parles de ça sans tabou aussi.
Roseline : [00:25:56] Oui. Puis moi, je le parlais directement avec mon entraîneur. On avait un code.
Anne-Élisabeth : [00:26:00] Ah bon?
Roseline : [00:26:02] Oui! Quand j'avais mes règles ou ça s'en venait ou, tsé, j'avais un code. Parce que mon entraîneur, il était pas habitué premièrement d'entraîner des filles. Nous, on est arrivées dans une étape dans sa carrière où il avait juste eu des hommes, des garçons comme athlètes.
Anne-Élisabeth : [00:26:20] Moi, ça me fascine. Une petite parenthèse. Plein d'hommes connaissent pas notre cycle.
Roseline : [00:26:24] Non.
Anne-Élisabeth : [00:26:25] tsé. Non, non, mais c'est vrai, tsé!
Alexis : [00:26:26] Oui. J'ai une sœur, puis même moi…
Anne-Élisabeth : [00:26:28] C’est quand est-ce que… ah c’est ça. SPM, menstruations, ovulation. Tsé, il y a comme une semaine qu'on est correct. Techniquement, on vit toujours une affaire là. J'en parlais dans mon spectacle d'humour. Puis, il y a du monde qui me disaient… des gars de mon âge qui étaient comme « Je savais pas ça ». Mais tu as une blonde, tu as deux enfants, comment ça? Tu es pas supposé rien connaître. Fait que bref, j'imagine qu'un entraîneur, au moment où tu t'entraînais, c'était plein de points d'interrogation, là.
Roseline : [00:26:51] Oui, oui, oui. Bien, c'était de gérer mon humeur qui était…
Anne-Élisabeth : [00:26:55] Absolument.
Roseline : [00:26:56] Oui, oui, puis pas m'insulter en me disant « Oui, mais là, tu as-tu tes règles? » parce que c'est insultant se faire dire ça parce que tu as un peu de peine ou tu es fâchée. Tsé, c’est pas automatique.
Anne-Élisabeth : [00:27:03] Ah non, on veut pas. Non, non.
Roseline : [00:27:04] Non, c'est ça. Fait que moi, il me laissait tranquille jusqu'à tant que je dise le mot qui était un code pour me dire « Sacre-moi patience, là c'est le temps du mois ».
Anne-Élisabeth : [00:27:13] Absolument.
Roseline : [00:27:14] Puis ça se passait super bien, puis c'était comme ça. On était trois filles ensemble, puis c'était comme ça qu'on communiquait avec notre entraîneur à ce niveau-là. Mais, il y a tellement de choses que j'ai apprises sur, justement, le corps des femmes, avec la performance par rapport à ça, la fluctuation de poids. Alors que dans un sport en costume de bain, ça c'est évalué, c'est important, puis que là tu te mets « Voyons, j'ai tout respecté ce que j'avais à faire, puis le poids correspond pas à mon objectif ».
Anne-Élisabeth : [00:27:41] Deux-trois livres de plus, oui, oui.
Roseline : [00:27:43] Mais ça, tu le contrôles pas. Toutes les filles vivent ça, là. Tsé, c'est la même chose. Fait que d'apprendre ça, d'apprendre à s'entraîner dans certaines périodes ou, quand tu vas vivre tes menstruations, tes muscles sont plus fragiles, tu peux te blesser davantage si tu pousses trop à cette période-là du mois. Quand j'ai pris ma retraite, je voyais… il y a des équipes américaines qui ont développé des applications où ils rentrent l'ovulation, etc., puis l'entraîneur adapte l'entraînement. Mais je trouvais ça écœurant!
Anne-Élisabeth : [00:28:09] À peu près tant en même temps.
Roseline : [00:28:11] Oui, oui, oui! Oui, oui! Puis c'est encore pas très popularisé, mais ça commence à exister. Mais ça a un impact énorme sur la performance, tsé. Tu arrives, puis tu dis « Eille, ah non, là ces dates là, ces dates là c'est ma journée de compétition aux Olympiques ».
Anne-Élisabeth : [00:28:27] Ça c'est, on choisit pas, hein. Le coup de dés.
Roseline : [00:28:29] Exact.
Anne-Élisabeth : [00:28:30] Aux quatre ans.
Roseline : [00:28:31] C'est ça. Puis il faut que tu trouves la solution sur le…
Anne-Élisabeth : [00:28:34] Oui, il faut que tu sois prêt à toute éventualité dans ta préparation aussi.
Roseline : [00:28:39] Oui. Oui, oui, oui.
Anne-Élisabeth : [00:28:40] Puis est-ce que tu te pardonnais bien la défaite? Parce que ça arrive, une défaite. Tu as pas… bien que tu sois une double médaillée.
Roseline : [00:28:44] Une chance que j'étais pas au tennis parce que j'aurais lancé ma raquette une couple de fois.
Anne-Élisabeth : [00:28:48] Tu aurais eu des réactions agressives.
Roseline : [00:28:51] Oui, puis sacré fort.
Anne-Élisabeth : [00:28:53] Ah oui, hein?
Roseline : [00:28:53] Je pouvais sacrer sous l'eau, c'est pas grave, personne m'entend. Personne me voit.
Anne-Élisabeth : [00:28:56] C'est bon, c'est bon.
Roseline : [00:28:58] Mais, j'avais de la difficulté. Puis de la défaite, c'est pas de pas gagner, c'est de pas performer à mes capacités. Tsé, je pouvais faire la meilleure performance, puis finir quatrième, c'est pas grave.
Anne-Élisabeth : [00:29:11] Ah ça, tu vivais bien avec ça.
Roseline : [00:29:11] Oui, oui, oui. Ça je vivais bien. Si j'avais fait mes plongeons super bien comme je voulais puis que je finis quatrième, il y a pas de problème.
Anne-Élisabeth : [00:29:21] Oui, parce que c'est pas gagner ou perdre, toi.
Roseline : [00:29:24] C’est ça.
Alexis : [00:29:23] Non, mais c'est semblable aussi. Nous, tsé c'est un affrontement, donc si tu sens que ton adversaire il a joué vraiment une game parfaite, je pense que tu arrives à mieux l'accepter que si, justement, comme Roseline l'a dit, si tu sens que tu as pas performé au mieux que tu pouvais, c'est là que tu arrives pas à bien dormir. Moi en tout cas, c’est la même chose.
Anne-Élisabeth : [00:29:43] OK. Fait qu’il y a des défaites qui se pardonnent mieux que d'autres.
Alexis : [00:29:45] Exact, exact.
Anne-Élisabeth : [00:29:46] Je comprends.
Roseline : [00:29:47] J'ai appelé souvent mes parents dans la nuit dans d'autres pays parce que j'étais fâchée, puis j'avais de la peine, puis…
Anne-Élisabeth : [00:29:51] Ils étaient-tu bons tes parents avec toi?
Roseline : [00:29:52] Ah oui! Vraiment. Parce que je leur ai fait subir tellement d'affaires.
Anne-Élisabeth : [00:29:59] Ça sortait, tu gardais pas tout en dedans. C’est bon, bien oui.
Roseline : [00:30:01] Oui, exact. Puis je pouvais passer à autre chose après 24 heures où comme j'ai sorti le méchant. Mais tsé, mes parents, c'était quasiment mes punching bag pour ventiler de cette défaite-là, tsé. Puis des fois… Mais une chance qu'on avait plusieurs compétitions dans une saison, là. Mais c'est sûr qu'aux Olympiques, si tu rates, c'est un petit peu plus difficile à avaler.
Anne-Élisabeth : [00:30:23] Ce qui t’est pas vraiment arrivé.
Roseline : [00:30:24] Oui, quand même.
Anne-Élisabeth : [00:30:25] Oui? OK.
Roseline : [00:30:26] Oui. Mes premiers Jeux olympiques, ça a été une catastrophe.
Anne-Élisabeth : [00:30:29] No way!
Roseline : [00:30:30] Oui, en 2008. J'ai fini septième sur huit.
Alexis : [00:30:35] Quand même, tsé. Tu devais être là…
Anne-Élisabeth : [00:30:38] Mais toi, tu t’es rendu là?
Alexis : [00:30:40] Oui, exact.
Anne-Élisabeth : [00:30:40] Mais je comprends, une fois là…
Roseline : [00:30:41] Mais, je sais pas si c'est la même chose pour toi, mais on dirait que c'est jamais suffisant.
Alexis : [00:30:46] En effet.
Roseline : [00:30:46] Tsé, admettons, tu fais le tableau principal au Grand Chelem…
Alexis : [00:30:48] Toujours plus, oui.
Roseline : [00:30:51] Tu veux avancer, tsé, c'est comme… bien, c'est comme « yes, je suis aux Olympiques », mais ça se passe pas bien après, c'est plus grave, ça compte pas. Fait qu’on dirait qu'il y en a jamais assez.
Anne-Élisabeth : [00:31:00] La satisfaction est très, très rapide. On est déjà dans ce qu'on veut.
Alexis : [00:31:03] Est-ce que ça t'a aidé par contre pour les prochains jeux?
Roseline : [00:31:05] Oui, complètement. Ça a été la meilleure expérience. Quand je suis arrivée à Londres après, je savais exactement à quoi m'attendre. Je savais c'était quoi le beat de la compétition, fait que j'ai été bien moins impressionnée, puis sentir que j'avais d'affaire là. Tsé, mes premiers jeux, je sentais que j'aurais pas dû me qualifier.
Anne-Élisabeth : [00:31:22] Imposteur un peu.
Roseline : [00:31:23] Oui, exact, tsé.
Anne-Élisabeth : [00:31:24] Tsé, quand tu sacrais puis tu appelais tes parents, c'est quoi une phrase qui peut réconforter quelqu'un qui vit une défaite? Qu'est-ce qu'ils t'ont dit, tes parents? Écouter, là, d'une part. Mais est-ce qu'il y a des choses qu'on peut dire qui…? Ou il faut juste que ça passe?
Roseline : [00:31:37] Non, mais c’est « Je comprends ».
Anne-Élisabeth : [00:31:39] Je comprends.
Roseline : [00:31:39] « Je comprends ta peine ».
Anne-Élisabeth : [00:31:40] Je comprends.
Roseline : [00:31:41] Oui, oui, oui.
Anne-Élisabeth : [00:31:41] C’est légitime.
Roseline : [00:31:42] Oui, oui, oui, c'est correct, tsé. Puis mes parents me rappelaient beaucoup ce que j'avais fait comme efforts avant. Comme « Mise là-dessus, tsé, il ne faut pas que tu oublies que tu as travaillé fort. Ça n'a pas marché cette fois-ci, mais si tu continues, à un moment donné, tu vas être récompensée », tsé. C'était surtout ça.
Anne-Élisabeth : [00:32:00] Il y a des parallèles avec mon métier, honnêtement. Parce que si c'est vrai que pour une audition où tu as pas assez lu ton texte, tsé comme, tu brises ton propre cœur si tu es sous-préparée. C'est à toi, c'est toi qui te fais du mal. Mais c'est vrai qu'il y a une satisfaction, tu dis « Bien j'ai fait tout ce que je pouvais ». Après ça, il y a des circonstances, on peut pas tout contrôler. Il y a un lâcher-prise qui est essentiel à la performance. C'est comme beaucoup de contradictions, en fait. Un contrôle versus un abandon. En tout cas, c'est dur à...
Alexis : [00:32:27] Oui, toujours dans la balance. C’est dur.
Roseline : [00:32:28] Mais c'est de s'adapter constamment, peu importe la situation. Tsé, une compétition, ça se ressemble jamais. Il peut arriver quelque chose sur place que tu n'as pas prévu, tsé. Puis je cite toujours en exemple. Moi à Rio en 2016, le jour de ma compétition, l'eau était verte, tsé. Puis on s'en allait au Brésil. Puis notre entraîneur nous avait dit que le premier jeu en Amérique du Sud, prévoir l'imprévisible, OK, c'est ça ton...
Anne-Élisabeth : [00:32:55] Ça peut être sketch.
Roseline : [00:32:56] C’est ça. Dans ta tête, il faut que tu penses ça dans ta tête. Mais jamais de la vie j'aurais pensé que, le matin de ma compétition, tout a sauté dans le bassin puis il y a des algues partout. Puis, il faut que je plonge pareil.
Anne-Élisabeth : [00:33:10] Incroyable. Oui, oui. Puis il faut pas qu'il y ait une petite retenue de « ça ne me tente pas de tomber dans ce bassin-là ».
Roseline : [00:33:16] Oui, c’est ça, genre « ark, c'est dégueulasse », tsé. Je me suis dit j'ai tout fait ce qu'il fallait, j'étais en haut, j'ai pas de regrets de rien, puis il arrivera ce qu’il arrivera, tsé.
Anne-Élisabeth : [00:33:24] Tu disais, Roseline, que la préparation mentale, c'était quoi le pourcentage que tu disais quant à la performance versus quant à la préparation?
Roseline : [00:33:32] Bien, on dirait que moi j'ai réalisé qu'une performance, puis ça c'est très plongeon, je sais pas si c'est la même chose pour toi, mais c'est 80 % mental, 20 % physique.
Anne-Élisabeth : [00:33:44] Ah mon Dieu, c'est ça.
Roseline : [00:33:46] Parce que, oui tu as travaillé, tu as fait tes plongeons, tu as répété, tu as répété. Mais une fois que tu arrives tout seul en haut, là, si ta tête est pas là, ça donnera absolument rien.
Anne-Élisabeth : [00:33:53] Tous ces entraînements à 5 h du matin, là.
Roseline : [00:33:54] Exactement. Tsé, tu as la pression. Tu as entendu la fille devant toi avoir des 9, des 9.5, 10, c'est la note parfaite. Puis là, c'est à ton tour, tsé. Mais si tu es pas capable de gérer ça, qui est la majorité de ta performance, c'est ta tête. Même si ce plongeon-là, tu le rates jamais à l'entraînement, tsé. Fait que moi, j'avais tout le temps ce gage-là de 80 %, 20 % pour dire que c'est un sport de tête.
Anne-Élisabeth : [00:34:21] Tellement, vraiment. Oui, oui. Une fois aux quatre ans…
Roseline : [00:34:24] C'est quoi ton temps de réaction, tsé? Toi, tu as pas le temps de réfléchir.
Alexis : [00:34:28] Non. Non, non.
Roseline : [00:34:30] Parce que la balle arrive vite.
Anne-Élisabeth : [00:34:31] Réflexe.
Alexis : [00:34:32] Non, c'est la même chose. C'est la même chose. Mais pour moi, d'avoir à attendre 45 minutes avant de reperformer, ça, ça me tuerait.
Anne-Élisabeth : [00:34:39] C’est tough, ça.
Alexis : [00:34:40] Tu as tellement le temps de penser à autre chose, de sortir de ta bulle que, pour moi, je suis content de… C'est en continu pendant trois heures et demie, mais au moins, tu as pas le temps de trop partir, là.
Roseline : [00:34:51] Non, c'est ça. Mais, il faut l'entraîner, sa tête. Sa tête aussi puis...
Anne-Élisabeth : [00:34:56] Je trouve que c'est des conseils qui s'appliquent au sport, au théâtre, aux artistes et à vraiment à tout le monde. On a tous des enjeux de stress, on a tous des enjeux de performance dans notre travail, puis c’est… il y a des choses qu'on peut pas contrôler, il y a des choses qu'on peut contrôler, un espèce de « trouver la sagesse entre les deux », puis après ça, s'abandonner à ce qui se passe et être dans le moment présent.
Roseline : [00:35:14] Oui, puis se pardonner.
Anne-Élisabeth : [00:35:15] Se pardonner surtout pour avancer. Je vous remercie vraiment beaucoup d'avoir parlé à cœur ouvert avec moi.
Alexis : Merci à toi.
Roseline : Vraiment un plaisir, merci à toi!
[transition – texte à l’écran]
[00:35:23] 3 trucs pour contrôler l’anxiété de performance
[00:35:26] 1. Fixez-vous un objectif réaliste et motivant
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3. Écoutez et respectez votre corps
[00:35:34] Trouvez plus de conseils sur beneva.ca
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FIN DE TRANSCRIPTION
Anxiété de performance, stress financier, peur de se blesser... Les athlètes ne sont pas des robots : pour performer, ils doivent d’abord gérer leur santé mentale. Anne-Élisabeth explore le sujet avec Alexis Galarneau, joueur de tennis professionnel et Roseline Filion, double médaillée olympique en plongeon.
Animation : Anne-Élisabeth Bossé
Invités : Alexis Galarneau et Roseline Filion
Ressources :
L’initiative pause mentale soutenue par Beneva (Cet hyperlien s'ouvrira dans un nouvel onglet).
Ne rien manquer à propos de Tennis Canada (Cet hyperlien s'ouvrira dans un nouvel onglet).
Durée de l'enregistrement : 35:48
Anne-Élisabeth : [00:00:00] Salut tout le monde, je m'appelle Anne-Élisabeth Bossé et bienvenue au balado de Beneva : Ça arrive à tout le monde. Parce que Beneva c'est vraiment du bon monde, on s'est fait aller le réseau de contacts pour créer des rencontres mémorables. À chaque épisode, je reçois un ou une invitée pour jaser de ce qui arrive dans sa vie.
[00:00:15] Quand on pense à un athlète de haut niveau, on a l'image de quelqu'un de fort, de solide, qui a une force mentale à toute épreuve. Mais est-ce que c'est toujours le cas? Qu'est-ce qui se passe dans la tête d'un athlète avant un match? Qu'est-ce qu'il a fait pour se rendre là? Est-ce que c'est tabou de parler de santé mentale? Pour en jaser, je reçois le joueur de tennis Alexis Galarneau, qui est aussi ambassadeur de Pause mentale, une initiative de Tennis Canada qui est soutenue par Beneva. Et je reçois aussi Roseline Filion, la double médaillée olympique. On va parler de sport sans tabou. Allons-y.
[transition]
Anne-Élisabeth : [00:00:53] Merci tellement d'être avec nous, Alexis.
Alexis : [00:00:54] Merci à toi.
Anne-Élisabeth : [00:00:54] Tu es joueur de tennis professionnel dans le circuit ATP depuis 2021. Tu as aussi été dans l'équipe canadienne de tennis. Je te demanderais de t'introduire un peu. Parle-moi de ce parcours de tennis que je connais… je ne connais pas beaucoup le tennis, donc pour mon bénéfice, et peut-être à ceux de… le bénéfice de tous.
Alexis : [00:01:10] J'ai commencé à jouer au tennis à l'âge de 8 ans avec mes deux grands frères au parc municipal Champfleury.
Anne-Élisabeth : [00:01:17] À Laval.
Alexis : [00:01:18] À Laval, exactement. Donc c'est ça, ça a commencé de famille. Juste jouer pour le fun avec mes frères, passer un peu de temps avec eux. Mes frères, eux, voyaient un talent en moi dès le début, donc on a continué d'aller jouer quand même assez souvent. Puis à partir de là, vraiment étape par étape, j'ai passé par l'équipe Québec, l'équipe canadienne. Ensuite, j'ai décidé d'aller à l'université américaine pour, ensuite, finalement tourner pro en 2021.
Anne-Élisabeth : [00:01:46] Tu es aussi ambassadeur pour Pause mentale, qui est une initiative de Tennis Canada qui est soutenue par Beneva d'ailleurs. C'était la deuxième année que tu fais ça.
Alexis : [00:01:53] Exact.
Anne-Élisabeth : [00:01:54] Pourquoi c'est important pour toi? C'est quoi cette initiative-là?
Alexis : [00:01:57] Bien, c'est une initiative très importante pour le tennis. On sait que c'est probablement l'élément le plus important, d'être fort mentalement. On sait aussi tous les enjeux extérieurs qu'il peut y avoir dans une carrière professionnelle ou même au niveau junior. Puis moi, bien, c'était une opportunité de parler de mon parcours, parler aussi des outils que j'utilise pour aider à être de plus en plus fort mentalement. On a accès à un site web, sur la page de Tennis Canada, qui va essayer de parler un petit peu du parcours, tsé, à différentes étapes d'une carrière d'un jeune joueur de tennis. Donc à différentes étapes, qu'est-ce que les parents peuvent faire pour supporter leur enfant.
Anne-Élisabeth : [00:02:46] Qu’est-ce que l'athlète peut faire aussi pour…
Alexis : [00:02:48] Exact. Autant les athlètes que les parents. Moi en tant qu'ambassadeur, j'essaie de promouvoir, tsé, d'en parler, de normaliser aussi la santé mentale comme étant un…
Anne-Élisabeth : [00:03:02] Comme tu fais en ce moment, comme porte-parole.
Alexis : [00:03:04] Exact. Un sujet qui doit être parlé, puis qui doit être… On doit améliorer les conditions.
Anne-Élisabeth : [00:03:11] Parle-moi des enjeux en question de santé mentale dans le sport de haut niveau.
Alexis : [00:03:15] Pour moi personnellement, c'est l'anxiété de performance, à la base de tout ça. En étant athlète professionnel, on veut performer, on veut atteindre notre plein potentiel, donc ça peut venir avec de l'anxiété par moments.
Anne-Élisabeth : [00:03:30] Puis toi, tu vivais physiquement des symptômes d'anxiété avant de performer?
Alexis : [00:03:34] Je pense que oui. Rien d'intense, mais quand même.
Anne-Élisabeth : [00:03:39] Habité par un stress.
Alexis : [00:03:40] Exact. Exact. Heureusement que je suis très bien soutenu avec un beau support. J'ai une préparatrice mentale, j'ai ma famille aussi qui m'aide énormément, donc j'arrive à quand même manager tout ça. Les autres enjeux qu'il y a, bien, c'est aussi voyager autant de semaines dans l'année. Moi, je voyage environ 40 semaines dans l'année à être tout seul.
Anne-Élisabeth : [00:04:03] Ah oui, OK, fait que tu affrontes énormément de solitude là-dedans.
Alexis : [00:04:06] Exact. Exact.
Anne-Élisabeth : [00:04:07] Oui, c'est un sport qui se joue seul aussi. Tu as pas ton équipe qui te suit, là. C'est ça qui est particulier du tennis.
Alexis : [00:04:12] Non. C'est ce que j'aime, mais c'est aussi le challenge qui peut être pas toujours évident. Donc, d'essayer d'être le plus souvent à chaque semaine, tsé, d'être fort mentalement, de trouver des outils qui peuvent t'aider à récupérer mentalement entre les matchs, tsé, les réseaux sociaux aussi peuvent quand même gruger de l'énergie.
Anne-Élisabeth : [00:04:31] Oui, vous aussi, vous avez un enjeu de classement. Comment ça fonctionne, le classement au tennis?
Alexis : [00:04:36] Donc en fait, ils prennent tes performances sur une année complète. Donc on va dire si la semaine prochaine, à pareille date l'année dernière j'avais gagné un tournoi, j'aurais à défendre ces points-là pour la semaine prochaine. Donc, ça peut créer quand même une autre sorte de pression.
Anne-Élisabeth : [00:04:54] Bien oui. Parce que si tu tombes en bas de 200, il faut… c'est important de rester dans les 200 premiers, c'est ça?
Alexis : [00:04:59] Exact. Idéalement, on reste dans les 220 au monde pour avoir accès au tableau, aux qualifications des Grands Chelems. C'est une pression financière de moins de savoir qu'on joue une qualification d'un Grand Chelem.
Anne-Élisabeth : [00:05:13] Ah bien oui!
Alexis : [00:05:14] On a quand même des meilleures bourses, donc on peut l'inclure dans nos budgets. Donc un autre enjeu, c'est ça, c'est les finances.
Anne-Élisabeth : [00:05:21] Quand même. Bien, oui, les finances. Parce que par exemple, si tu te blesses, toi, tu n'as plus de gagne-pain, tu continues à payer ton entraîneur, tu continues… donc c'est ça?
Alexis : [00:05:28] Exactement.
Anne-Élisabeth : [00:05:29] Non seulement il faut pas que tu échoues, il faut pas que tu te blesses, puis il faut que tu progresses, c'est beaucoup de choses à soutenir seul quand même. Est-ce que ça a été difficile pour toi d'aborder la santé mentale? Je sais que tu es dans une génération un peu plus jeune que moi, mais je sais qu'on aura la chance d'en parler tantôt, que c'est nouveau quand même qu'on aborde ça. Est-ce que toi tu as vécu le petit changement ou tu as toujours été très à l'aise à parler de tes faiblesses quelque part.
Alexis : [00:05:56] Non, non. Oui, bien même quand on m'avait proposé de faire partie de l'initiative de la Pause mentale, j'étais pas sûr si je voulais m'embarquer dans ça, parce que c'est un sujet encore tabou.
Anne-Élisabeth : [00:06:12] Bien oui. Tu veux pas être étiqueté?
Alexis : [00:06:13] Non, exact. Puis pour moi, je pense que je suis quand même quelqu'un de bien équilibré dans la vie, donc je le sais qu'il y a des gens qui ont des problèmes plus importants que moi, mais je pense quand même, j'ai réalisé que je peux quand même éduquer ou, au moins, aider les jeunes.
Anne-Élisabeth : [00:06:31] Bien oui, tu enlèves le tabou en ayant pas toi-même. Si lui il en parle, tu as raison, il y a pas de mal à en parler. Fait que si toi, tu as pas de problème, ça ouvre la porte aux autres. Pourquoi tu penses que c'est tabou de parler de santé mentale? C'est quoi qui t'arrête, tsé qui t’a un peu freiné?
Alexis : [00:06:45] Je pense qu'il y a encore le concept de l'athlète parfait qui a rien, qui est mentalement fort, surtout sur le circuit masculin. Ça pourrait être un signe de faiblesse de travailler avec un préparateur mental ou simplement d'en parler. Donc, c'est encore, selon moi, réel, tsé, de penser qu'on est plus faible à cause de ça. Mais personnellement, je pense qu'une fois qu'on accepte qu'on a besoin d'aide et qu'on… ou même pas besoin d'aide, mais simplement d'optimiser ses performances mentales, je pense que c'est là que tu peux vraiment faire un bon step dans ton tennis.
Anne-Élisabeth : [00:07:31] Bien oui, c'est un peu évident. On optimise notre performance physique, pourquoi on n’optimiserait pas notre performance mentale? C'est comme de dire qu'on a besoin de renforcir des choses, ça serait être vulnérable.
Alexis : [00:07:43] Oui.
Anne-Élisabeth : [00:07:44] Et c'est aussi de supposer qu'il y a des gens qui pourraient vivre un parcours d'athlète sans jamais rencontrer ça. C’est comme impossible quand on y pense.
Alexis : [00:07:50] Non, exact. Tous les athlètes professionnels sont humains. Tous les athlètes professionnels ont des pensées envahissantes. Tout le monde vit de l'anxiété d'une forme ou d'une autre, donc c'est ça, c'est d'accepter que c'est réel, puis de prendre les outils nécessaires pour optimiser, encore une fois, sa performance mentale.
Anne-Élisabeth : [00:08:13] Bien oui, mais au final, je pense que c'est accepter d'être humain, c'est une force de plus. Tu peux être bien plus fort, une fois que tu as assumé que tu es capable de traverser tes faiblesses.
Alexis : [00:08:21] Exact.
Anne-Élisabeth : [00:08:22] Et on a parlé un petit peu plus tôt aussi du stress qui accompagnait. Au-delà de ton stress de performance, le stress technique autour de ta discipline. Tu t’es blessé, tu te remets présentement d'une blessure. Qu'est-ce qui s'est passé? Comment tu as vécu ça?
Alexis : [00:08:37] Ça n'a pas été facile. Ça a été quand même un trois-quatre mois plus compliqué.
Anne-Élisabeth : [00:08:43] Oh, quand même!
Alexis : [00:08:44] Oui.
Anne-Élisabeth : [00:08:45] Ça devait être frustrant.
Alexis : [00:08:46] Frustrant, décourageant. Je pourrais vraiment nommer plusieurs émotions.
Anne-Élisabeth : [00:08:51] Des synonymes.
Alexis : [00:08:52] C'est ça. C'est une blessure que j'avais eu peut-être à quelques reprises dans les trois dernières années. J'ai l'impression que cette fois-ci, c'était la fois de trop, puis c'était pas tolérable pour jouer des tournois. Puis je pense le fait aussi que le timing, c'était pendant des tournois qui étaient au Canada, j'adore jouer au Canada, donc c'était dur d'avoir à me retirer. Puis ensuite, ça a continué pour le début de saison qui commençait en Australie, un Grand Chelem. Donc côté financier, c'est plus compliqué aussi. Donc ça a été trois quatre mois qui a été plus compliqué. Mais heureusement que j'avais vraiment un bon support, encore une fois, pour traverser cette période-là. C'est avec des moments comme ça qu'on apprécie encore plus de jouer au tennis. Ma dernière tournée au Mexique, j'ai senti vraiment que je suis parti là bas. J'avais encore des doutes.
Anne-Élisabeth : [00:09:49] Par rapport à ta blessure?
Alexis : [00:09:50] Par rapport à ma blessure, par rapport à ma préparation. Tsé, beaucoup, beaucoup de pensées envahissantes qui peuvent venir. Le fait d'être parti sur la route quatre semaines, de vraiment me laisser aller, essayer de s'améliorer de match en match avec mon entraîneur aussi, d'en parler, ça m'a fait beaucoup, beaucoup de bien. Puis finalement, j'ai eu une super belle tournée. Donc ça, on est fier d'une tournée comme ça, après ça, là.
Anne-Élisabeth : [00:10:16] J'imagine que quand on se blesse aussi, on a encore plus la gratitude de rejouer peut-être. Est-ce que tu penses qu'on peut perdre de vue la chance qu'on a?
Alexis : [00:10:24] Je pense que oui.
Anne-Élisabeth : Oui, il y a des athlètes qui font « Ah non, pas un autre Grand Chelem ». Ah oui, des fois c’est trop.
Alexis : Moi-même je suis victime de ça, de prendre les choses pour acquis, donc d'avoir été à la maison trois-quatre mois à rien faire, je pense que tu te comptes chanceux après de pouvoir jouer devant des belles foules, puis de sentir que ton tennis inspire ou apporte un peu de joie.
Anne-Élisabeth : [00:10:45] Tu me le dis, si c'est trop t'exposer que de répondre à cette question là. Mais c'est quoi une pensée envahissante?
Alexis : [00:10:52] Il peut y en avoir beaucoup. Beaucoup de pensées différentes. Si je prends pour exemple ma dernière période plus difficile, pendant ma blessure, des pensées envahissantes c'est, exemple, de pas penser qu'on va revenir à son top, de pas penser que tu vas avoir aucune douleur quand tu vas revenir au jeu, même tsé de penser à une éventualité de prendre sa retraite à cause que…
Anne-Élisabeth : [00:11:24] Tu penses au pire.
Alexis : Exact, de penser au pire. Je pense que c'est vraiment ça.
Anne-Élisabeth : [00:11:27] Ça y est, c'est le déclin, c'est le début de la fin.
Alexis : [00:11:29] Exact. Exact. Puis, c'est là que c'est important d'avoir un bon support, puis d'en parler de ces pensées-là pour réaliser que tsé, ça, c'est temporaire. Qu'est-ce qu'on fait maintenant? Quelle action on prend pour continuer d'aller de l'avant, là?
Anne-Élisabeth : [00:11:44] Ça me fait penser, moi aussi quand j'ai commencé dans mon métier d'actrice, je disais vraiment oui à tout parce que j’étais là « Ça va s'arrêter, parce qu'à un moment donné, il n'y aura plus d'offres. J'ai pas le choix ». Puis je pense que je me serais brûlée. Puis moi aussi, c'est quand j'ai consulté qu'on m'a dit « Non, mais il y a pas de raison que ça s'arrête ». Tsé, comme faire la part entre la peur puis le rationnel, là. Parce qu’à un moment donné, quand on est seul avec nos pensées, on a l'impression que c'est la vérité, là. On se convainc, on se convainc qu'on a raison.
Alexis : [00:12:07] On n’en parle pas, exactement.
Anne-Élisabeth : [00:12:09] Il faut que tu sortes de ta tête. Tu te dis « Non, non, ça c'est pas rationnel ».
Alexis : [00:12:11] Exact.
Anne-Élisabeth : [00:12:12] C'est quoi les outils concrets? Je sais pas si ça se dit vraiment, comme, c'est quoi des exercices qu'on peut faire pour essayer de contenir notre anxiété avant un grand moment?
Alexis : [00:12:20] Je pense que c'est différent pour tout le monde. Par contre, ce qui marche pour moi, souvent c'est la méditation.
Anne-Élisabeth : [00:12:26] Ah bon, OK.
Alexis : [00:12:26] J'essaie de méditer le plus souvent possible. Surtout sur la route en me réveillant ou même juste avant d'aller dormir. J'aurais tendance à aller sur mes réseaux sociaux, répondre aux messages, tout ça. Ça peut quand même créer un stress, donc de prendre un moment, de vraiment recentrer mon énergie à la bonne place.
Anne-Élisabeth : [00:12:48] Respirer.
Alexis : [00:12:49] Exact. Ça déjà, ça m'aide énormément. Avec Tennis Canada et Beneva, pendant l'Omnium Banque Nationale, souvent on fait une activité de yoga.
Anne-Élisabeth : [00:12:59] Ah oui!
Alexis : [00:12:59] Donc ça, je pense aussi que c'est un très bon outil à utiliser.
Anne-Élisabeth : [00:13:02] J’adore le yoga. Ah oui, c'est vraiment efficace.
Alexis : [00:13:04] Exact. Puis on se sent vraiment bien après avoir fait une séance. Donc c'est deux outils vraiment que j'utilise. Puis ensuite, bien le troisième, ça serait d'avoir une préparatrice mentale.
Anne-Élisabeth : [00:13:15] Oui, quelqu’un à qui parler.
Alexis : [00:13:15] Oui, exact. D'avoir quelqu'un que tu identifies, que tu peux vraiment lui confier toutes tes pensées, tes sentiments, puis tout ça. Déjà, ça c'est le premier step, selon moi.
Anne-Élisabeth : [00:13:27] Est-ce que tu te pardonnes facilement la défaite? Est-ce que tu as toujours été… est-ce que tu t’es toujours bien pardonné la défaite? Quel est ton rapport à la défaite?
Alexis : [00:13:34] Oui, j'aimerais ça te dire que j'ai un bon rapport avec la défaite.
Anne-Élisabeth : [00:13:38] C'est pas facile, hein?
Alexis : [00:13:39] C'est pas facile, non. Non. N'importe quel compétiteur dirait la même chose. Mais je pense qu'avec le temps, puis aussi les différents challenges que j'ai eus à travers ma carrière, je réalise que les défaites ou les moments plus difficiles, au final, ils t'apprennent quand même quelque chose de super important à long terme. Donc, j'essaie vraiment de mettre l'emphase sur ça, d'essayer d'en tirer le maximum de leçons, puis après, d'ajuster au besoin.
Anne-Élisabeth : [00:14:08] Est-ce que tu t’es déjà senti coupable par rapport à ta famille ou aux sacrifices financiers qui ont été faits pour toi, pour te soutenir? Oui.
Alexis : [00:14:16] À plusieurs fois dans ma carrière. Puis c'est même pas une pression réelle de leur part,
Anne-Élisabeth : [00:14:23] Non, non, bien non.
Alexis : [00:14:24] C’est ce que moi, je ressens. Mais tsé, à force d'en parler avec les gens, on réalise que c'est nous-même, des fois, qui nous met ces pressions-là inutiles. Puis mes parents ont toujours été… ils m'ont supporté incroyablement, jamais parlé vraiment d'argent, même si maintenant, je le réalise. Tout le temps, puis financièrement aussi, tout ce qu'ils ont investi, puis je suis vraiment reconnaissant envers eux.
Anne-Élisabeth : [00:14:51] Tsé, il y a des parents qui se projettent dans leur enfant aussi, puis que c'est leur défaite ou, tsé, ils prennent ça trop au sérieux. Puis des fois, même, il y a de la violence dans n'importe quel sport. Qu’est-ce que tu dirais à ces gens-là qui sont dans cette situation-là?
Alexis : [00:15:03] Je pense que c'est là où est-ce que la pause mentale peut aider aussi les parents à mieux supporter leurs enfants. Parce que c'est réel qu'il y a certains parents qui peuvent, tsé, sans nécessairement le faire par mal intention… tsé avec les mauvaises intentions.
Anne-Élisabeth : [00:15:21] Ils sont pas mal intentionnés.
Alexis : [00:15:21] Non, exactement.
Anne-Élisabeth : [00:15:22] C’est plus fort qu'eux ou ils sont inconscients de ce qu’ils font.
Alexis : [00:15:24] Puis c'est fait maladroitement, mais c'est ça, il faut outiller aussi les parents autant que les enfants dans ce processus-là.
Anne-Élisabeth : [00:15:30] C’est quoi la pire affaire que tu as vue, le pire non-sens, là?
Alexis : [00:15:34] Oui, bien c'est plate de voir un ami qui a peur d'écrire à leurs parents qu’ils ont perdu parce que, tsé, ils savent qu'ils vont être fâchés ou… c'est ça.
Anne-Élisabeth : [00:15:45] Au lieu d'être une source de réconfort, ils sont une source de stress. Ah oui.
Alexis : [00:15:48] Exact. Exact. Donc c'est triste à voir. Puis il y a aussi côté les gageurs. Il y en a beaucoup qui vont venir t'écrire après les matchs si tu as perdu.
Anne-Élisabeth : [00:15:55] What?!
Alexis : [00:15:56] Oui, oui. Des menaces de mort, puis tout. Oui.
Anne-Élisabeth : [00:15:58] Non! « J'avais mis tant sur toi ».
Alexis : [00:16:00] Exact. Exact.
Anne-Élisabeth : [00:16:00] Bien, les gens sont pas gênés!
Alexis : [00:16:01] Non, non, non. Oui.
Anne-Élisabeth : [00:16:03] Mon Dieu! Genre sur Instagram, là, un gageur.
Alexis : [00:16:05] Oui.
Anne-Élisabeth : [00:16:06] Faites pas ça. Faites pas ça, vous êtes mal élevé. C'est pas nécessaire.
Alexis : [00:16:10] Bien, je le prends personnel quand je vois que c'est un Québécois.
Anne-Élisabeth : [00:16:13] Bien, voyons donc! Je peux pas croire.
Alexis : [00:16:14] Ça, je leur répondais. Mais sinon…
Anne-Élisabeth : [00:16:16] Non, non, tu laisses aller.
Alexis : [00:16:17] Exact. Exact.
Anne-Élisabeth : [00:16:18] Je comprends que tu as d'autres chats à fouetter, mais je suis un peu scandalisée de ce que j'entends. Alexis, merci vraiment. J'ai envie qu'on poursuive cette discussion-là avec une femme d'abord, qui a un autre regard sur le sport aussi, Roseline Filion. Es-tu là, Roseline?
[transition]
Anne-Élisabeth : [00:16:32] Roseline Filion, merci tellement de nous rejoindre aujourd'hui.
Roseline : Grand plaisir!
Anne-Élisabeth : [00:16:36] Tu as participé à trois Jeux olympiques. On voit d'ailleurs, je m'excuse, ton joli tattoo des anneaux.
Roseline : [00:16:42] Qui est en train de disparaître. Mais il est là.
Anne-Élisabeth : [00:16:44] Mais il est là, puis il est tatoué, puis double médaillée de bronze, et aussi, maintenant animatrice. Bon, tu as été à la radio, tu fais plein de choses et, maintenant, tu…
Roseline : [00:16:51] Je suis toujours journaliste à Radio-Canada Sports.
Anne-Élisabeth : [00:16:53] Voilà, grosse année encore, toujours bien chargée.
Roseline : [00:16:53] Oui.
Anne-Élisabeth : [00:16:56] Parle-moi de ton rapport à la pression dans ton sport. Comment tu as vécu l'aspect santé mentale du plongeon?
Roseline : [00:17:02] Bien, c'est en montagnes russes, hein. Parce que plus tu avances dans un sport où tu gravis les échelons, donc tu te rends, tsé, tu commences régional, provincial, national, international. Plus ça avance, plus tu réalises ce que ça veut dire, la pression, ce que ça te fait sur le corps, dans la tête. Puis moi, au début, j'étais « La pression, j'aime ça, c'est le fun ». Tu es stressée avant une compétition, tu essaies de te gérer. Puis à un moment donné, quand les enjeux sont de plus en plus importants, puis que ça regroupe tout ce que tu as dans la vie, ah là, c'est pas pareil.
Anne-Élisabeth : [00:17:40] Puis la différence, c'est que toi, tu as plusieurs matchs. Toi, tu as une grande, grande préparation, puis tu as une espèce de plateau très, très dense, très concentré. C'est ça, les Jeux olympiques, c'est…
Roseline : [00:17:50] C’est une fois aux quatre ans, puis tu as pas d'autre chance.
Anne-Élisabeth : [00:17:52] C'est d'une cruauté, quand on y pense, hein?
Roseline : [00:17:54] Oui! Oui, quand même. C'est la plus grande compétition qu'un athlète amateur peut pas espérer, arrive une fois aux quatre ans. Tu as une chance, c'est une journée de compétition, puis c'est tout.
Anne-Élisabeth : [00:18:07] Et chose que vous avez en commun, c'est que vous avez… toi aussi tu as faire affaire avec un préparateur, préparatrice mentale?
Roseline : [00:18:15] Oui, préparateur mental, oui.
Anne-Élisabeth : [00:18:16] OK, raconte-moi ton expérience un peu avec ce professionnel-là.
Roseline : [00:18:19] Oui, bien en fait, moi j'ai utilisé plusieurs professionnels, puis ça a pris du temps avant de trouver le bon.
Anne-Élisabeth : [00:18:24] Oui, hein? C'est vrai que des fois, c'est pas un match parfait tout de suite, hein.
Roseline : [00:18:27] C'est niaiseux à dire, mais ça se magasine.
Anne-Élisabeth : [00:18:29] Ça se magasine certain! Bien oui!
Roseline : [00:18:31] Un préparateur ou un psychologue en général.
Anne-Élisabeth : [00:18:33] Tellement.
Roseline : [00:18:34] Puis quand j'ai trouvé la bonne personne qui comprenait ma personnalité, qui pouvait presque lire dans ma tête, ou sur certaines situations, ou savoir un peu comment j'allais réagir dans certains environnements, là, je savais que j'étais en confiance avec quelqu'un, puis je pouvais m'appuyer sur quelque chose d'assez solide. Mais pour moi, c'était essentiel d'avoir quelqu'un pour me guider, puis juste me rassurer sur mes inquiétudes, sur, tsé, quand je suis en haut sur la plateforme puis que c'est ma compétition, ça arrive que je pense à complètement d'autre chose, puis que j'ai la tête ailleurs, puis que là, ça n'a rien à voir avec le plongeon. Puis là, je suis comme « pourquoi je pense à ça, là, là? »
Anne-Élisabeth : [00:19:19] Ta liste d'épicerie, là.
Roseline : [00:19:21] Genre.
Anne-Élisabeth : [00:19:22] J’ai plus de pain.
Roseline : [00:19:23] Oui, genre, j'ai un examen dans une semaine, là, je suis pas prête. Qu'est-ce que je fais? Mais, j'attends le coup de sifflet avant de plonger. Puis des fois, c'est juste...
Anne-Élisabeth : [00:19:29] Ce qui est pas un bon état, là.
Roseline : [00:19:30] Non, pas du tout!
Anne-Élisabeth : [00:19:32] On cherche le moment présent, là.
Roseline : [00:19:33] Oui, oui, oui. Fait que tsé, il y a tout ça. Puis tu comprends pas d'où ça vient. Tu es comme « pourquoi, sur la plateforme, je pense à ça? »
Anne-Élisabeth : [00:19:40] C'est-tu parce que tu te dissocies, parce que le stress est trop grand?
Roseline : [00:19:42] Ça se peut.
Anne-Élisabeth : [00:19:43] OK, entre autres.
Roseline : [00:19:44] Entre autres ou ça devient trop. Tu as trop d'affaires dans ta tête, que tu es pas capable de te concentrer sur rien.
Anne-Élisabeth : [00:19:51] Tu es plus capable de prioriser.
Roseline : [00:19:51] Exactement.
Anne-Élisabeth : [00:19:52] Tout devient sur le même niveau. Ah, je comprends.
Roseline : [00:19:54] Oui. C’est des distractions. Puis l'objectif principal, en sport, c'est d'éliminer toutes les distractions possibles pour optimiser la performance.
Anne-Élisabeth : [00:20:03] On cherche le focus.
Roseline : [00:20:04] Le focus absolu, là, c'est hyper difficile à atteindre. Mais quand tu es dedans, c'est fou. Tu penses à rien, tu oublies tout, puis ton corps fait juste bouger tout seul.
Anne-Élisabeth : [00:20:17] Tout suit.
Roseline : [00:20:18] Oui. C'est une mémoire musculaire automatique.
Anne-Élisabeth : [00:20:22] Faire confiance au travail qui a été fait aussi, pour pouvoir profiter puis être dans le moment présent.
Roseline : [00:20:26] Oui.
Anne-Élisabeth : [00:20:27] Est-ce que vous aviez un peu les mêmes techniques, méditation, est-ce que ça se ressemble vos…?
Roseline : [00:20:31] Mais c'est drôle, j'écoutais tantôt, puis moi c'est complètement le contraire.
Anne-Élisabeth : [00:20:34] Ah bon, raconte!
Roseline : [00:20:34] Oui, moi, on a essayé la visualisation, ça ne marche pas du tout. Moi, tout ce que je m'imaginais, c'était de me faire mal. Tsé, quand tu as dit « OK, imagine ton plongeon dans ta tête ». Non, ça finit toujours mal.
Anne-Élisabeth : [00:20:46] Ah oui! Ton imaginaire est pas bon avec toi, là.
Roseline : [00:20:48] Non, pas du tout. Moi, ma façon de fonctionner, c'était vraiment spécial. Puis quand je plongeais, j'avais l'air très, très méchante. Tsé, dans le sens que j'ai l'air bête, je parle à personne, mais c'est parce que j'ai besoin d'avoir un point de focus. Fait que tsé, en attendant dans les escaliers avant de monter.
Anne-Élisabeth : [00:21:07] Pas de petit chat, là.
Roseline : [00:21:07] Pas du tout.
Anne-Élisabeth : [00:21:08] Non merci.
Roseline : [00:21:08] Non, non, parle-moi pas, c’était comme…
Anne-Élisabeth : [00:21:08] C'est légitime. C'est légitime.
Roseline : [00:21:11] Je suis bête comme mes deux pieds, puis ça ressemble pas à qui je suis vraiment, mais c'était nécessaire pour être à mon affaire, tsé. Parce que je peux être distraite facilement.
Anne-Élisabeth : [00:21:20] Ou on veut être fine, puis là, on gaspille notre énergie.
Roseline : [00:21:23] Oui, c’est ça! Puis tsé, moi pour moi, c'était de fixer un point, d'avoir des mots-clés. Un mot, pas quinze. C'est un mot.
Anne-Élisabeth : [00:21:29] Peux-tu me partager un mot-clé?
Roseline : [00:21:31] Bien, mon mot-clé était toujours relié à une technique.
Anne-Élisabeth : [00:21:35] Ah bon?
Roseline : [00:21:35] Oui. Fait que par exemple, moi j'avais de la difficulté à faire mon cercle de bras au départ. Donc quand je suis sur la plateforme, mon coach me répétait tout le temps « Ton cercle de bras avant d'aller rentrer dans ta position ». Fait que là je suis en haut, puis je suis comme « les bras, les bras, les bras » ou, des fois, c'est comme « puissance, puissance », « solide, solide à l'entrée », fait que c'est des petits mots que je changeais de compétition en compétition.
Anne-Élisabeth : [00:22:01] Pour pas justement que ça soit...
Roseline : [00:22:02] Un mot veut dire tout ce que je dois avoir ou qui résume tout ce qu'il doit y avoir dans mon plongeon pour le réussir.
Anne-Élisabeth : [00:22:08] J'adore.
Roseline : [00:22:09] Fait que c'était vraiment ça.
Anne-Élisabeth : [00:22:10] Avant de faire affaire à un professionnel, est-ce que tu as vécu un peu le stress ou la gêne d'avoir à admettre que tu as des…?
Roseline : [00:22:19] Oui puis non. Non parce qu’on dirait que, dans ma tête, je le savais que c'était essentiel, puis que j’aurais pas pu le faire...
Anne-Élisabeth : [00:22:28] Tu t’es toujours foutu de ce que le monde pense de ça.
Roseline : [00:22:31] Oui. Puis en même temps, tu le criais pas haut et fort, parce que moi je viens d'une génération où on est tough, puis la poker face, tsé, il faut que tu fasses semblant de bien aller tout le temps.
Anne-Élisabeth : [00:22:40] C'est valorisé.
Roseline : [00:22:41] Oui, c'est valorisé. « Ah, tu es donc bien forte, toi. Il y a rien qui t'atteint ». « Oui, je suis forte ». Tsé, c'est ça. Puis je me surprends encore aujourd'hui à le refaire, tsé, de juste dire « Oui, oui, tout va bien! Je suis capable. Je suis capable d'en prendre. C'est bon, là. J'ai pas de problème ». Tsé, des trucs comme ça. Mais à l'inverse, je savais que, trois secondes plus tard, j'avais mon préparateur ou mon psy au bout du fil, puis j'étais comme « Oh, j'ai besoin d'aide ». Oui.
Anne-Élisabeth : [00:23:06] Oui, oui. Mais c'est vrai que c'est correct aussi de pas être, comment dire, transparent avec tout le monde. En ce moment, je vis ça, mais juste de se confier aux bonnes personnes, là. Tsé, c'est pas de pas être authentique, c'est aussi de, bon, de choisir à qui on confie notre vulnérabilité aussi, là.
Roseline : [00:23:18] Oui, puis j'ai l'impression que dans un sport, puis c'est sûrement la même chose, tsé, tu as ton adversaire directement devant toi, tu peux pas lui montrer une faiblesse. Jamais, parce qu'il va prendre avantage.
Anne-Élisabeth : [00:23:29] Ça fait partie du théâtre du jeu, là, c'est vrai.
Roseline : [00:23:32] Oui. Puis sur la plateforme à l'échauffement admettons, moi, toutes les filles sont là. Donc, si je laisse entrevoir que je feele pas, bien, elles vont venir me parler, elles vont me dire « Ah, as-tu peur de faire ce plongeon-là? » Bla-bla-bla, bla-bla-bla. Puis là, ça te joue dans la tête. Alors tu as pas le choix de…
Alexis : [00:23:48] Te créer une carapace.
Roseline : [00:23:49] Exactement.
Anne-Élisabeth : [00:23:50] Un moment pour fronter, un moment pour faire face aux démons. Un moment pour…
Roseline : [00:23:52] C’est ça, exact.
Anne-Élisabeth : [00:23:53] Je comprends. Puis oui, c'est ça, tu l'as nommé. On vient d'une génération où c'était pas tellement encouragé. Mais je suis contente que tu t’es pas laissé influencer par le courant, que tu es allée là. Est-ce que tu sens que tu as un petit peu, je dirais pas pionnière, mais que tu as ouvert la voie un peu à parler de santé mentale?
Roseline : [00:24:10] Bien, je le vois avec la nouvelle génération. Moi, quand j'étais sur l'équipe nationale, on était peut-être deux ou trois à utiliser un préparateur mental. C'était pas pour la majorité, c'était encore « Ah moi, j'en ai pas besoin. Non, non, non, moi je suis correcte, je vais me gérer toute seule ».
Anne-Élisabeth : [00:24:23] Oui, je suis pas…
Roseline : [00:24:23] Oui. Puis aujourd'hui, je vais voir l'équipe nationale, puis c'est comme « Eille, aujourd'hui, j'avais vraiment de la misère. Dans ma tête, ça marche pas ». Puis ça parle aux entraîneurs, ça le dit aux co-équipières…
Anne-Élisabeth : [00:24:31] C’est beau, ça!
Roseline : [00:24:32] Puis je suis comme « Ah oui, OK! ».
Anne-Élisabeth : [00:24:34] Le chemin a été fait.
Roseline : [00:24:35] Oui, vraiment, ils sont pas gênés. Puis les entraîneurs « Oui, bien OK », ça s'adapte. « On fera pas ça aujourd'hui parce que tu es pas à ton 100 % ou ta tête est pas assez là pour telle, telle, telle raison ». Puis c'était pas de même avant.
Anne-Élisabeth : [00:24:49] Mais c'est ça, athlète n'égale pas robot, là.
Roseline : [00:24:51] Non, c’est ça.
Anne-Élisabeth : [00:24:51] C'est qu'on a l'impression, à un moment donné, que vous êtes comme 100 % dans tout. Tsé, on confond vos muscles, votre tête, votre cerveau, votre force mentale, votre force physique, votre…
Roseline : [00:24:59] Mais, il y a la confrontation entre « J'ai pas le choix pour être bon ou j'ai pas le choix pour être le meilleur. J'ai pas le choix de me forcer ou de… » Je sais pas comment…
Anne-Élisabeth : [00:25:10] Oui, il faut que je mette tout...
Alexis : [00:25:10] Toute les ressources possibles.
Roseline : [00:25:12] C’est ça, exact.
Alexis : [00:25:14] Pour pas… tsé, le sentiment de sentir que tu aurais dû faire ça.
Roseline : [00:25:18] Quand tu te dis « eille, aujourd'hui je feele pas », c’est pas sûr que c'est une bonne idée de m'entraîner de telle ou telle façon. Mais tout le temps dans ta tête « Oui, mais c'est parce qu'il y a quelqu'un d'autre qui va le faire cet effort-là, tsé, ou il va le faire de plus, ou il va se pousser ». Fait que tout le temps en bataille contre j'écoute mon corps, j'écoute ma tête.
Anne-Élisabeth : [00:25:35] Ou je m'écoute trop, puis je me pousse pas à bout, puis j'aurais besoin.
Roseline : [00:25:38] Ou tout ce que je veux, c'est gagner, puis peut-être que ça arrivera jamais, tsé.
Anne-Élisabeth : [00:25:41] Oui, oui, oui.
Roseline : [00:25:43] Fait que c'est une bataille constante.
Anne-Élisabeth : [00:25:46] Puis en plus, les femmes, on a des cycles qui influencent beaucoup nos émotions, puis nos performances physiques.
Roseline : [00:25:54] Oui! Oui.
Anne-Élisabeth : [00:25:55] Je sais que toi, tu parles de ça sans tabou aussi.
Roseline : [00:25:56] Oui. Puis moi, je le parlais directement avec mon entraîneur. On avait un code.
Anne-Élisabeth : [00:26:00] Ah bon?
Roseline : [00:26:02] Oui! Quand j'avais mes règles ou ça s'en venait ou, tsé, j'avais un code. Parce que mon entraîneur, il était pas habitué premièrement d'entraîner des filles. Nous, on est arrivées dans une étape dans sa carrière où il avait juste eu des hommes, des garçons comme athlètes.
Anne-Élisabeth : [00:26:20] Moi, ça me fascine. Une petite parenthèse. Plein d'hommes connaissent pas notre cycle.
Roseline : [00:26:24] Non.
Anne-Élisabeth : [00:26:25] tsé. Non, non, mais c'est vrai, tsé!
Alexis : [00:26:26] Oui. J'ai une sœur, puis même moi…
Anne-Élisabeth : [00:26:28] C’est quand est-ce que… ah c’est ça. SPM, menstruations, ovulation. Tsé, il y a comme une semaine qu'on est correct. Techniquement, on vit toujours une affaire là. J'en parlais dans mon spectacle d'humour. Puis, il y a du monde qui me disaient… des gars de mon âge qui étaient comme « Je savais pas ça ». Mais tu as une blonde, tu as deux enfants, comment ça? Tu es pas supposé rien connaître. Fait que bref, j'imagine qu'un entraîneur, au moment où tu t'entraînais, c'était plein de points d'interrogation, là.
Roseline : [00:26:51] Oui, oui, oui. Bien, c'était de gérer mon humeur qui était…
Anne-Élisabeth : [00:26:55] Absolument.
Roseline : [00:26:56] Oui, oui, puis pas m'insulter en me disant « Oui, mais là, tu as-tu tes règles? » parce que c'est insultant se faire dire ça parce que tu as un peu de peine ou tu es fâchée. Tsé, c’est pas automatique.
Anne-Élisabeth : [00:27:03] Ah non, on veut pas. Non, non.
Roseline : [00:27:04] Non, c'est ça. Fait que moi, il me laissait tranquille jusqu'à tant que je dise le mot qui était un code pour me dire « Sacre-moi patience, là c'est le temps du mois ».
Anne-Élisabeth : [00:27:13] Absolument.
Roseline : [00:27:14] Puis ça se passait super bien, puis c'était comme ça. On était trois filles ensemble, puis c'était comme ça qu'on communiquait avec notre entraîneur à ce niveau-là. Mais, il y a tellement de choses que j'ai apprises sur, justement, le corps des femmes, avec la performance par rapport à ça, la fluctuation de poids. Alors que dans un sport en costume de bain, ça c'est évalué, c'est important, puis que là tu te mets « Voyons, j'ai tout respecté ce que j'avais à faire, puis le poids correspond pas à mon objectif ».
Anne-Élisabeth : [00:27:41] Deux-trois livres de plus, oui, oui.
Roseline : [00:27:43] Mais ça, tu le contrôles pas. Toutes les filles vivent ça, là. Tsé, c'est la même chose. Fait que d'apprendre ça, d'apprendre à s'entraîner dans certaines périodes ou, quand tu vas vivre tes menstruations, tes muscles sont plus fragiles, tu peux te blesser davantage si tu pousses trop à cette période-là du mois. Quand j'ai pris ma retraite, je voyais… il y a des équipes américaines qui ont développé des applications où ils rentrent l'ovulation, etc., puis l'entraîneur adapte l'entraînement. Mais je trouvais ça écœurant!
Anne-Élisabeth : [00:28:09] À peu près tant en même temps.
Roseline : [00:28:11] Oui, oui, oui! Oui, oui! Puis c'est encore pas très popularisé, mais ça commence à exister. Mais ça a un impact énorme sur la performance, tsé. Tu arrives, puis tu dis « Eille, ah non, là ces dates là, ces dates là c'est ma journée de compétition aux Olympiques ».
Anne-Élisabeth : [00:28:27] Ça c'est, on choisit pas, hein. Le coup de dés.
Roseline : [00:28:29] Exact.
Anne-Élisabeth : [00:28:30] Aux quatre ans.
Roseline : [00:28:31] C'est ça. Puis il faut que tu trouves la solution sur le…
Anne-Élisabeth : [00:28:34] Oui, il faut que tu sois prêt à toute éventualité dans ta préparation aussi.
Roseline : [00:28:39] Oui. Oui, oui, oui.
Anne-Élisabeth : [00:28:40] Puis est-ce que tu te pardonnais bien la défaite? Parce que ça arrive, une défaite. Tu as pas… bien que tu sois une double médaillée.
Roseline : [00:28:44] Une chance que j'étais pas au tennis parce que j'aurais lancé ma raquette une couple de fois.
Anne-Élisabeth : [00:28:48] Tu aurais eu des réactions agressives.
Roseline : [00:28:51] Oui, puis sacré fort.
Anne-Élisabeth : [00:28:53] Ah oui, hein?
Roseline : [00:28:53] Je pouvais sacrer sous l'eau, c'est pas grave, personne m'entend. Personne me voit.
Anne-Élisabeth : [00:28:56] C'est bon, c'est bon.
Roseline : [00:28:58] Mais, j'avais de la difficulté. Puis de la défaite, c'est pas de pas gagner, c'est de pas performer à mes capacités. Tsé, je pouvais faire la meilleure performance, puis finir quatrième, c'est pas grave.
Anne-Élisabeth : [00:29:11] Ah ça, tu vivais bien avec ça.
Roseline : [00:29:11] Oui, oui, oui. Ça je vivais bien. Si j'avais fait mes plongeons super bien comme je voulais puis que je finis quatrième, il y a pas de problème.
Anne-Élisabeth : [00:29:21] Oui, parce que c'est pas gagner ou perdre, toi.
Roseline : [00:29:24] C’est ça.
Alexis : [00:29:23] Non, mais c'est semblable aussi. Nous, tsé c'est un affrontement, donc si tu sens que ton adversaire il a joué vraiment une game parfaite, je pense que tu arrives à mieux l'accepter que si, justement, comme Roseline l'a dit, si tu sens que tu as pas performé au mieux que tu pouvais, c'est là que tu arrives pas à bien dormir. Moi en tout cas, c’est la même chose.
Anne-Élisabeth : [00:29:43] OK. Fait qu’il y a des défaites qui se pardonnent mieux que d'autres.
Alexis : [00:29:45] Exact, exact.
Anne-Élisabeth : [00:29:46] Je comprends.
Roseline : [00:29:47] J'ai appelé souvent mes parents dans la nuit dans d'autres pays parce que j'étais fâchée, puis j'avais de la peine, puis…
Anne-Élisabeth : [00:29:51] Ils étaient-tu bons tes parents avec toi?
Roseline : [00:29:52] Ah oui! Vraiment. Parce que je leur ai fait subir tellement d'affaires.
Anne-Élisabeth : [00:29:59] Ça sortait, tu gardais pas tout en dedans. C’est bon, bien oui.
Roseline : [00:30:01] Oui, exact. Puis je pouvais passer à autre chose après 24 heures où comme j'ai sorti le méchant. Mais tsé, mes parents, c'était quasiment mes punching bag pour ventiler de cette défaite-là, tsé. Puis des fois… Mais une chance qu'on avait plusieurs compétitions dans une saison, là. Mais c'est sûr qu'aux Olympiques, si tu rates, c'est un petit peu plus difficile à avaler.
Anne-Élisabeth : [00:30:23] Ce qui t’est pas vraiment arrivé.
Roseline : [00:30:24] Oui, quand même.
Anne-Élisabeth : [00:30:25] Oui? OK.
Roseline : [00:30:26] Oui. Mes premiers Jeux olympiques, ça a été une catastrophe.
Anne-Élisabeth : [00:30:29] No way!
Roseline : [00:30:30] Oui, en 2008. J'ai fini septième sur huit.
Alexis : [00:30:35] Quand même, tsé. Tu devais être là…
Anne-Élisabeth : [00:30:38] Mais toi, tu t’es rendu là?
Alexis : [00:30:40] Oui, exact.
Anne-Élisabeth : [00:30:40] Mais je comprends, une fois là…
Roseline : [00:30:41] Mais, je sais pas si c'est la même chose pour toi, mais on dirait que c'est jamais suffisant.
Alexis : [00:30:46] En effet.
Roseline : [00:30:46] Tsé, admettons, tu fais le tableau principal au Grand Chelem…
Alexis : [00:30:48] Toujours plus, oui.
Roseline : [00:30:51] Tu veux avancer, tsé, c'est comme… bien, c'est comme « yes, je suis aux Olympiques », mais ça se passe pas bien après, c'est plus grave, ça compte pas. Fait qu’on dirait qu'il y en a jamais assez.
Anne-Élisabeth : [00:31:00] La satisfaction est très, très rapide. On est déjà dans ce qu'on veut.
Alexis : [00:31:03] Est-ce que ça t'a aidé par contre pour les prochains jeux?
Roseline : [00:31:05] Oui, complètement. Ça a été la meilleure expérience. Quand je suis arrivée à Londres après, je savais exactement à quoi m'attendre. Je savais c'était quoi le beat de la compétition, fait que j'ai été bien moins impressionnée, puis sentir que j'avais d'affaire là. Tsé, mes premiers jeux, je sentais que j'aurais pas dû me qualifier.
Anne-Élisabeth : [00:31:22] Imposteur un peu.
Roseline : [00:31:23] Oui, exact, tsé.
Anne-Élisabeth : [00:31:24] Tsé, quand tu sacrais puis tu appelais tes parents, c'est quoi une phrase qui peut réconforter quelqu'un qui vit une défaite? Qu'est-ce qu'ils t'ont dit, tes parents? Écouter, là, d'une part. Mais est-ce qu'il y a des choses qu'on peut dire qui…? Ou il faut juste que ça passe?
Roseline : [00:31:37] Non, mais c’est « Je comprends ».
Anne-Élisabeth : [00:31:39] Je comprends.
Roseline : [00:31:39] « Je comprends ta peine ».
Anne-Élisabeth : [00:31:40] Je comprends.
Roseline : [00:31:41] Oui, oui, oui.
Anne-Élisabeth : [00:31:41] C’est légitime.
Roseline : [00:31:42] Oui, oui, oui, c'est correct, tsé. Puis mes parents me rappelaient beaucoup ce que j'avais fait comme efforts avant. Comme « Mise là-dessus, tsé, il ne faut pas que tu oublies que tu as travaillé fort. Ça n'a pas marché cette fois-ci, mais si tu continues, à un moment donné, tu vas être récompensée », tsé. C'était surtout ça.
Anne-Élisabeth : [00:32:00] Il y a des parallèles avec mon métier, honnêtement. Parce que si c'est vrai que pour une audition où tu as pas assez lu ton texte, tsé comme, tu brises ton propre cœur si tu es sous-préparée. C'est à toi, c'est toi qui te fais du mal. Mais c'est vrai qu'il y a une satisfaction, tu dis « Bien j'ai fait tout ce que je pouvais ». Après ça, il y a des circonstances, on peut pas tout contrôler. Il y a un lâcher-prise qui est essentiel à la performance. C'est comme beaucoup de contradictions, en fait. Un contrôle versus un abandon. En tout cas, c'est dur à...
Alexis : [00:32:27] Oui, toujours dans la balance. C’est dur.
Roseline : [00:32:28] Mais c'est de s'adapter constamment, peu importe la situation. Tsé, une compétition, ça se ressemble jamais. Il peut arriver quelque chose sur place que tu n'as pas prévu, tsé. Puis je cite toujours en exemple. Moi à Rio en 2016, le jour de ma compétition, l'eau était verte, tsé. Puis on s'en allait au Brésil. Puis notre entraîneur nous avait dit que le premier jeu en Amérique du Sud, prévoir l'imprévisible, OK, c'est ça ton...
Anne-Élisabeth : [00:32:55] Ça peut être sketch.
Roseline : [00:32:56] C’est ça. Dans ta tête, il faut que tu penses ça dans ta tête. Mais jamais de la vie j'aurais pensé que, le matin de ma compétition, tout a sauté dans le bassin puis il y a des algues partout. Puis, il faut que je plonge pareil.
Anne-Élisabeth : [00:33:10] Incroyable. Oui, oui. Puis il faut pas qu'il y ait une petite retenue de « ça ne me tente pas de tomber dans ce bassin-là ».
Roseline : [00:33:16] Oui, c’est ça, genre « ark, c'est dégueulasse », tsé. Je me suis dit j'ai tout fait ce qu'il fallait, j'étais en haut, j'ai pas de regrets de rien, puis il arrivera ce qu’il arrivera, tsé.
Anne-Élisabeth : [00:33:24] Tu disais, Roseline, que la préparation mentale, c'était quoi le pourcentage que tu disais quant à la performance versus quant à la préparation?
Roseline : [00:33:32] Bien, on dirait que moi j'ai réalisé qu'une performance, puis ça c'est très plongeon, je sais pas si c'est la même chose pour toi, mais c'est 80 % mental, 20 % physique.
Anne-Élisabeth : [00:33:44] Ah mon Dieu, c'est ça.
Roseline : [00:33:46] Parce que, oui tu as travaillé, tu as fait tes plongeons, tu as répété, tu as répété. Mais une fois que tu arrives tout seul en haut, là, si ta tête est pas là, ça donnera absolument rien.
Anne-Élisabeth : [00:33:53] Tous ces entraînements à 5 h du matin, là.
Roseline : [00:33:54] Exactement. Tsé, tu as la pression. Tu as entendu la fille devant toi avoir des 9, des 9.5, 10, c'est la note parfaite. Puis là, c'est à ton tour, tsé. Mais si tu es pas capable de gérer ça, qui est la majorité de ta performance, c'est ta tête. Même si ce plongeon-là, tu le rates jamais à l'entraînement, tsé. Fait que moi, j'avais tout le temps ce gage-là de 80 %, 20 % pour dire que c'est un sport de tête.
Anne-Élisabeth : [00:34:21] Tellement, vraiment. Oui, oui. Une fois aux quatre ans…
Roseline : [00:34:24] C'est quoi ton temps de réaction, tsé? Toi, tu as pas le temps de réfléchir.
Alexis : [00:34:28] Non. Non, non.
Roseline : [00:34:30] Parce que la balle arrive vite.
Anne-Élisabeth : [00:34:31] Réflexe.
Alexis : [00:34:32] Non, c'est la même chose. C'est la même chose. Mais pour moi, d'avoir à attendre 45 minutes avant de reperformer, ça, ça me tuerait.
Anne-Élisabeth : [00:34:39] C’est tough, ça.
Alexis : [00:34:40] Tu as tellement le temps de penser à autre chose, de sortir de ta bulle que, pour moi, je suis content de… C'est en continu pendant trois heures et demie, mais au moins, tu as pas le temps de trop partir, là.
Roseline : [00:34:51] Non, c'est ça. Mais, il faut l'entraîner, sa tête. Sa tête aussi puis...
Anne-Élisabeth : [00:34:56] Je trouve que c'est des conseils qui s'appliquent au sport, au théâtre, aux artistes et à vraiment à tout le monde. On a tous des enjeux de stress, on a tous des enjeux de performance dans notre travail, puis c’est… il y a des choses qu'on peut pas contrôler, il y a des choses qu'on peut contrôler, un espèce de « trouver la sagesse entre les deux », puis après ça, s'abandonner à ce qui se passe et être dans le moment présent.
Roseline : [00:35:14] Oui, puis se pardonner.
Anne-Élisabeth : [00:35:15] Se pardonner surtout pour avancer. Je vous remercie vraiment beaucoup d'avoir parlé à cœur ouvert avec moi.
Alexis : Merci à toi.
Roseline : Vraiment un plaisir, merci à toi!
[transition – texte à l’écran]
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[Générique]
FIN DE TRANSCRIPTION